39.

Ce dimanche 7 décembre 1941, « jour d’infamie », Winston Churchill séjourne aux Chequers, la résidence de week-end du Premier Ministre.

Il a travaillé avec le chef d’état-major, suivi, message après message, le développement de la contre-offensive russe, interrogé l’ambassadeur britannique à Moscou, porté des toasts à ce général Joukov, houspillé les généraux britanniques qui, en Cyrénaïque, face à Rommel, ne sont pas assez audacieux. Il a bu, fumé. Il a comme toujours irrité le chef d’état-major impérial, le général Alan Brooke.


Mais Churchill se mêle de tout, en dépit des mines scandalisées des généraux.

On dit de lui qu’il « colle ses doigts dans chaque gâteau avant qu’il ne soit cuit ».

Le général Brook ne cesse de répéter :

« À coup sûr, de tous les hommes que j’ai rencontrés, c’est le plus difficile avec qui travailler, mais pour rien au monde je ne manquerais cette chance de travailler avec lui. »

Et c’est cela l’essentiel.

« À la guerre, a l’habitude de dire Churchill, ce qui compte ce n’est pas d’être gentil et de plaire, c’est d’avoir raison ! »


À la fin de ce dimanche 7 décembre 1941, on apporte un message en provenance de Washington : la base navale de Pearl Harbor a été attaquée par l’aviation et des sous-marins japonais.

Churchill bondit. Il doit parler aussitôt avec Roosevelt, obtenir confirmation, car cette attaque va faire basculer les États-Unis dans la guerre, changer ainsi le cours des choses, l’ordre du monde.

En attendant qu’on établisse la communication, il ne peut rester en place, analyse déjà les conséquences de l’événement, s’interrompt, et dit :

« Aucun amant ne s’est jamais penché avec autant d’attention sur les caprices de sa maîtresse que je ne l’ai fait moi-même sur ceux de Franklin Roosevelt. »

Il sait qu’on prête à Roosevelt le mot :

« Winston a cent idées par jour, dont trois ou quatre sont bonnes, les mauvaises langues ajoutant : le malheur, c’est qu’il ne sait pas lesquelles. »

Churchill hausse les épaules, s’impatiente. Il veut établir avec les États-Unis entrés dans la guerre une « special relationship », une Grande Alliance étendue à Staline, même si l’on dit se méfier de lui. Mais ce sont les Russes qui tuent 95 % des Allemands. On ne peut pas l’oublier.

Il se précipite vers le téléphone qu’on lui tend.

Roosevelt confirme l’attaque de Pearl Harbor et conclut : « Nous voilà tous dans le même bateau ! »


Enfin !

Churchill jubile.

« Avoir les États-Unis à nos côtés fut pour moi une joie insigne », dit-il.

Il ne peut prédire le cours des événements, prendre la mesure de la force japonaise, mais l’essentiel était l’entrée dans la guerre des États-Unis.

« Ils y sont jusqu’au cou et jusqu’à la mort ! »

Personne ne peut dire combien dureront les hostilités et la manière dont elles se termineront, mais l’issue du combat ne fait plus de doute.

« Nous ne serons pas anéantis, notre histoire ne s’achèvera pas. Nous n’aurons peut-être même pas à mourir en tant qu’individus. Le destin de Hitler est scellé. Le destin de Mussolini est scellé. Quant aux Japonais, ils vont être réduits en poussière. »

Et lui, Churchill, sera le pivot de cette Grande Alliance, le Warlord de cette spécial relationship !

Il ne peut interrompre, ou modérer, le tourbillon de ses pensées. L’idée même de s’endormir lui fait horreur. Le temps n’est pas au sommeil.

« Winston est un autre homme depuis que l’Amérique est entrée en guerre, dit son médecin qui l’observe. C’est comme si, en un tournemain, il avait été remplacé par quelqu’un de plus jeune. »


Mais Churchill n’est pas homme à se contempler. Il agit. Il ordonne qu’on prépare son déplacement aux États-Unis. Il doit rencontrer Roosevelt, lui rappeler l’accord intervenu en janvier 1941 et qui fait de l’Allemagne l’ennemi principal.



Or, frappés à Pearl Harbor, les États-Unis vont être tentés de faire du Pacifique, de l’Asie, le centre majeur de leur stratégie.

Or, le cœur, selon Churchill, doit être l’Europe.

Il se rendra donc aux États-Unis à bord du cuirassé Duke of York qui appareillera le 12 décembre 1941.

Il va rappeler à Roosevelt que le but premier de la Grande Alliance, c’est la destruction de l’Allemagne de Hitler. Après viendra le tour du Japon.

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