7.

Rommel ne s’est pas trompé.


Il a suffi de trois semaines pour que les Panzerdivisionen du Feldmarschall von Kleist entrent le 27 avril 1941 à Athènes et hissent le drapeau à croix gammée au sommet du Parthénon.

L’armée grecque n’était plus qu’un troupeau de plus de 200 000 têtes, accablée, désespérée, humiliée, contrainte à la reddition. Et les 680 000 soldats allemands de la XIIe armée du Feldmarschall von List dominaient les États balkaniques – Bulgarie, Hongrie, Roumanie –, occupaient la Yougoslavie, et naturellement depuis octobre 1939 la Pologne.


Les 55 000 Anglais débarqués en Grèce sur l’ordre de Churchill afin de soutenir, à compter du mois de février 1941, les Grecs qui refoulaient partout les armées italiennes en déroute devaient maintenant, avec quelques milliers de Grecs, rembarquer, sous les bombardements de la Luftwaffe.


C’était Dunkerque en mer Égée, la fuite vers la Crète. Et en ces mois d’avril-mai 1941, c’était donc un second printemps de guerre triomphal que pouvait fêter le Führer.


Et il le fait, le 4 mai 1941, dans un discours prononcé au Reichstag, grandiloquent et sarcastique, déchaînant l’enthousiasme lorsqu’il fustige Churchill et les Juifs.



« Churchill stratège amateur, dit-il la voix rauque, est l’être le plus assoiffé de carnage que l’Histoire ait connu… Depuis plus de cinq ans, avec une obstination de maniaque, il cherche d’un bout à l’autre de l’Europe quelque chose à incendier…

« En tant que soldat c’est un mauvais politicien, en tant que politicien un mauvais soldat… Mais M. Churchill possède cependant un don remarquable, celui de mentir en affectant une pieuse impassibilité et de présenter les plus terribles défaites sous couleur de glorieuses victoires…

« Cet incurable touche-à-tout qui se mêle de stratégie vient ainsi de perdre sa mise sur deux tableaux à la fois : la Grèce et la Yougoslavie.

« Dans tout autre pays que l’Angleterre Churchill serait traduit en Haute Cour…

« L’état anormal de son cerveau ne peut s’expliquer que par une atteinte de paralysie générale et ses divagations par l’ivrognerie. »


Avril-mai 1941 : second printemps de guerre accablant pour l’Angleterre.


Les troupes de Rommel avancent vers l’Égypte.

L’Angleterre est toujours seule.

Et Churchill, ce même 4 mai où Adolf Hitler le traite de fou, d’incapable, de menteur et d’ivrogne, lance un nouvel appel au secours au président Roosevelt :

« Si nous perdons l’Égypte et le Moyen-Orient, lui écrit-il, la poursuite de la guerre deviendra une longue, décevante et dure entreprise. »


Mais aux États-Unis même, le héros national Charles Lindbergh, célèbre pour avoir en 1927, à bord de son avion Spirit of St Louis, volé le premier d’une rive de l’Atlantique à l’autre, et animateur du Comité America First, mène campagne contre Churchill, pour la neutralité de l’Amérique.

Il rentre d’un voyage en Allemagne en ce printemps de 1941. Il déclare devant plusieurs milliers de personnes :

« Le gouvernement britannique trame en ce moment une dernière manœuvre désespérée : nous mener à envoyer une seconde fois en Europe un corps expéditionnaire américain, voué à partager sa faillite militaire et financière. L’Angleterre est coupable d’avoir incité les nations plus faibles à se lancer dans une bataille perdue d’avance. »

Roosevelt stigmatisera « Charles Lindbergh le défaitiste » et celui-ci démissionnera de son grade de lieutenant-colonel de réserve de l’US Air Force, mais le mal est fait.


Ce second printemps de guerre est triomphal pour Hitler.

La Blitzkrieg, de la Libye à la Grèce, vient une nouvelle fois de montrer son efficacité.


Et ce printemps 1941 désespère les peuples écrasés sous la domination nazie.


Les plus martyrisés sont ceux des Balkans et de Pologne. À l’ouest de l’Europe, en France, en mai-juin 1940, les officiers de la Wehrmacht étaient « corrects », assis à la terrasse du Café de la Paix, place de l’Opéra à Paris, ou applaudissant, en sablant le champagne, les revues dénudées du Lido et des Folies-Bergère.

Mais à l’est de l’Europe, les Polonais, les Slaves, les orthodoxes, les Juifs sont pour les Allemands des Untermenschen, des « sous-hommes », que les soldats pillent, violent, tuent.


Un Grec témoigne :

« Mais où est passé le traditionnel sens allemand de l’honneur ? J’ai vécu treize ans en Allemagne et personne ne m’a jamais trompé.

« Désormais, avec le Nouvel Ordre, ils sont tous devenus des voleurs. Ils vident les maisons de tout ce qui leur tape dans l’œil. Chez Pistolakis, ils ont pris les taies d’oreiller et pillé la précieuse collection d’objets crétois, mais aussi les poignées des portes !

« Ils exigent des repas gratuits dans les restaurants, arrêtent des passants dans les rues pour les débarrasser de leurs montres et de leurs bijoux. »


Ce sont de nouveaux Allemands, endoctrinés depuis 1933, ayant accepté que Hitler et les nazis mettent en œuvre le meurtre de masse des handicapés, des vieillards, de tous ceux dont, aux yeux des théoriciens de la race aryenne, « la vie était indigne d’être vécue ».

Le clergé catholique et les églises protestantes avaient protesté, contraint les nazis en ce printemps 1941 à interrompre cette politique d’euthanasie.

Mais soixante-dix mille personnes avaient été exterminées au gaz, et quatre cent mille stérilisées.


Entrant en Pologne, les Einsatzgruppen – des détachements constitués dans ce but – ont commencé à assassiner les Juifs, les notables polonais.

Mais avant de les abattre, on les martyrise, on les humilie, on les oblige à lécher les trottoirs pour les nettoyer, on arrache les poils de leur barbe.

On nie l’humanité de ces hommes qu’on peut donc massacrer comme on le fait d’insectes nuisibles.


Le général Gotthardt Heinrici, officier de tradition comme l’est Erwin Rommel, et non-nazi fanatique, décrit la Pologne comme le « dépotoir de l’Europe ».

Il dit à sa femme, le 24 avril 1941 :

« Cela grouille de punaises de lit et de poux, et aussi de terribles Juifs avec l’étoile de David sur le bras… Les Polonais et les Juifs servent d’esclaves, personne ici ne fait attention à eux.

« Ici, les choses se passent exactement comme dans l’Antiquité quand les Romains faisaient la conquête d’autres peuples…

« Ne serait-ce qu’en sortant dans la rue… on a déjà l’impression d’avoir attrapé des poux et des puces.

« Dans les ruelles juives, la puanteur est telle qu’il faut se moucher et se nettoyer le nez une fois dehors, uniquement pour se débarrasser de la crasse qu’on a inspirée. »


Nouveaux Allemands, nouvelle guerre qui libère partout la barbarie.

En Roumanie, après l’abdication du roi Carol, le général Antonescu prend le pouvoir et les fanatiques de la Garde de fer, et leur chef Horia Sima, s’abattent comme des rapaces sur les Juifs, saccageant les quartiers de Bucarest où ils résident, les conduisant dans les forêts pour les massacrer.

Plus de deux cents d’entre eux sont traînés dans un abattoir, dénudés, placés sur la chaîne d’abattage comme des animaux, et leurs cadavres pendus par la gorge à des crocs de boucher et étiquetés « bon pour la consommation humaine ».

Le général Antonescu rétablira l’ordre, le chef des gardes de fer, Horia Sima, se réfugiera en Allemagne, mais la terre roumaine est rouge du sang des martyrisés… et l’Allemagne contrôle 50 % de la production de pétrole roumain.


Hitler veut dominer tous les États des Balkans. Il contraint le régent de Yougoslavie, le prince Paul, à signer un pacte de soumission à l’Allemagne.

Le 27 mars 1941, des officiers serbes patriotes renversent le régent et proclament roi le jeune héritier de dix-sept ans, Pierre II.

Hitler se déchaîne, convoque ses généraux, ordonne à Goering de réduire Belgrade en cendres, par des attaques successives de bombardiers lourds.

Le Führer éructe, annonce que la Yougoslavie sera dépecée.

« Je suis résolu à détruire la Yougoslavie sur le plan militaire et national », crie-t-il.

La Yougoslavie sera partagée entre l’Italie, la Hongrie, la Roumanie.

Les fascistes croates – les oustachis d’Ante Pavelic – ennemis des Serbes obtiennent la création d’un petit État fantoche. Et les oustachis se déchaînent contre les Juifs. Il s’agit de sauver l’Occident catholique face à la menace des Slaves orthodoxes, des bolcheviques athées, et des Juifs déicides. Les oustachis chassent de leur nouvel État deux millions de Serbes, des tsiganes et des Juifs par dizaines de milliers, pratiquant ainsi une purification ethnique.

À la fin du mois d’avril, des camps de concentration sont ouverts : on y enferme les Juifs dont on viole les femmes. On y tue les détenus à coups de marteau.


Hitler veut en finir avec la Yougoslavie. Il le répète, il le hurle.

Il dicte la Directive 25 dans laquelle il déclare :

« La Yougoslavie, ennemie de l’Allemagne, doit être réduite à merci aussi rapidement que possible. »

Il écrit au Duce, pour l’avertir que le 6 avril les troupes allemandes attaqueront.


La Luftwaffe est chargée de l’opération Châtiment ! Belgrade doit être rasé. Les bombardiers déversent, volant au ras des toits d’une ville sans défense aérienne, des milliers de tonnes de bombes incendiaires.

On dénombrera au moins dix sept mille morts.

Le 13 avril, les Allemands – accompagnés de troupes hongroises – entrent dans ce qu’est devenu Belgrade : un champ de ruines.


Le 27 avril, les Panzerdivisionen atteignent Athènes.

Le pillage de la Grèce commence.

Des officiers allemands s’amusent à jeter des miettes depuis leur balcon à des bandes d’enfants, et s’esclaffent de les voir se disputer comme des chiens.

Déshumaniser le vaincu, le réduire à n’être qu’un Untermensch, une punaise, un pou, tel est le sens de cette nouvelle guerre dans les Balkans qui est comme la préface à l’opération Barbarossa contre la Russie.


Le déclenchement de Barbarossa a été retardé par l’attaque contre la Yougoslavie et la Grèce. Et des généraux – von Rundstedt – s’en inquiètent. Ils craignent de voir leurs troupes figées par l’hiver russe.

Hitler, le 4 mai, dans son discours au Reichstag, justifie sa décision :

« Nous avons tous été confondus par le coup d’État de Belgrade fomenté par une poignée de conspirateurs corrompus par nos adversaires.

« Le Reich ne pouvait supporter d’être traité de pareille manière.

« Vous comprenez, messieurs, pourquoi j’ai donné l’ordre d’attaquer la Yougoslavie sur-le-champ. »


Mais pour achever l’opération Châtiment, il faut s’emparer de l’île de Crète où les Britanniques qui ont réussi à embarquer dans les ports grecs se sont réfugiés.


Ils sont vingt-huit mille soldats anglais, australiens, néo-zélandais, renforcés par deux divisions grecques ; soit en tout une cinquantaine de milliers d’hommes.

Le 20 mai 1941, à 8 heures du matin, quelque trois mille parachutistes allemands sont lâchés dans le ciel de la Crète.

Dans les deux jours qui suivent, ils seront rejoints par une quinzaine de milliers d’hommes, largués, déposés par des planeurs puis des avions de transport.


Aguerris, déterminés – quatre mille tués et deux mille blessés –, ces soldats d’élite contraindront les Anglais à une nouvelle évacuation.

Humiliante, comme si le modèle Dunkerque s’imposait répétitivement à l’armée anglaise, opposée aux Allemands encore et toujours victorieux.

Second printemps de guerre calamiteux !

Plus de trente mille hommes sont abandonnés aux Allemands. Pour évacuer les seize mille autres, la Royal Navy perdra deux mille hommes, trois croiseurs et six destroyers. Et seize autres navires dont le seul porte-avions anglais en Méditerranée seront endommagés.


Mais les pertes allemandes, si lourdes, et frappant les troupes d’élite de la seule division de parachutistes de la Wehrmacht, marquent le Führer.

Le général Student, commandant des troupes aéroportées, ne réussit pas à convaincre Hitler de prendre d’assaut Chypre ; puis par un nouveau bond de s’emparer du canal de Suez. Student insiste, appuyé par l’amiral Raeder.

« Mais, confie Student, après le choc des lourdes pertes de Crète, le Führer refuse de tenter un autre grand effort aéroporté. »


En fait, Hitler, comme il le répète à ses interlocuteurs, est convaincu qu’« avant toute chose il nous faut détruire la Russie ». Déjà, l’action contre la Yougoslavie et la Grèce a retardé la mise en œuvre de l’opération Barbarossa, de près de cinq semaines. Elle était prévue le 15 mai.

Maintenant que les troupes allemandes sont à Belgrade, à Athènes, en Crète, le flanc sud de l’Europe est contrôlé, et les troupes de la Russie ne seront pas menacées sur leurs arrières. Hitler peut donc fixer la date de mise en route de Barbarossa.

Ce sera le 22 juin 1941.

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