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En ce début décembre 1941, sur le front de Moscou, face aux troupes de Joukov, il y a ces trois mille cinq cents Français de la Légion des Volontaires Français contre le bolchevisme (LVF).
Elle a été créée le 18 juillet 1941, à l’initiative de Jacques Doriot et Marcel Déat. Ces collaborateurs déterminés, venus du communisme et du socialisme, sont partisans de l’Ordre nouveau que le nazisme, selon eux, est en train de faire surgir en Europe.
La guerre entre la Russie bolchevique et l’Allemagne nazie donne enfin sens à leur engagement.
Doriot l’écrit dans son journal L’Émancipation nationale :
« Nous ne combattons pas seulement pour la France éternelle, mais pour la révolution européenne… De mensonges en trahisons, de trahisons en crimes, le communisme s’est placé lui-même en dehors de la conscience des hommes civilisés…
« C’est pourquoi nous saluons ce jour – le déchaînement de la guerre entre le Reich et la Russie soviétique – comme le navigateur, après une nuit de tempête, salue l’aube qui lui montre la terre nouvelle qu’appelaient ses vœux. »
À Vichy, on partage ce sentiment.
Le gouvernement Pétain a rompu les relations diplomatiques avec l’URSS qui était encore représentée auprès de l’État français par un ambassadeur – Bogomolov.
L’amiral Darlan, vice-président du Conseil, transmet à Otto Abetz pour le Führer une lettre dans laquelle « le gouvernement français regrette, faute de moyens, de ne pas aider à combattre le bolchevisme… Mais il a décidé de créer une Légion de volontaires et il est prêt à donner à ce corps le développement le plus considérable ».
En fait, Vichy soutient avec prudence cette initiative des « révolutionnaires » Doriot et Déat.
Les Allemands sont de même réservés.
Ils exigent que ces légionnaires combattent sous l’uniforme allemand. Regroupés au camp de Demba, en Pologne, ils prêteront serment à Hitler, le 5 octobre 1941.
Dans les rangs de la LVF, on est persuadé que c’est le Führer qui en novembre-décembre 1941 a décidé de faire monter la LVF au front selon l’axe suivi par la Grande Armée en 1812.
Les volontaires seront engagés sur le front de Moscou, début décembre, mais sous l’appellation de 638e régiment d’infanterie de la Wehrmacht. Un écusson tricolore signalera discrètement leur origine. Et l’état-major de la Wehrmacht les a accueillis avec réticence.
« Je leur ferai décharger à l’arrière des sacs de pommes de terre », a déclaré le maréchal von Brauchitsch.
En fait, ils participeront aux combats, dans les conditions terribles de ce froid féroce qui rend chaque geste douloureux, dangereux.
Rester immobile une demi-heure, c’est mourir ! Être blessé, c’est mourir !
Après deux jours de combat, la LVF a perdu 75 % de son effectif !
Cette participation symbolique à la guerre est révélatrice. Le gouvernement de Vichy subit la pression allemande.
Pétain a dû accepter la présence d’un consul allemand à Vichy. Le Maréchal est ainsi placé sous la surveillance directe des nazis.
En octobre, Pétain veut commémorer par une lettre flagorneuse sa rencontre du mois d’octobre 1940, à Montoire, avec Hitler.
« La victoire de vos armes sur le bolchevisme offre plus encore qu’il y a un an à cette collaboration un motif de s’affirmer désormais en des œuvres pacifiques pour la construction d’une Europe transformée », écrit Pétain.
Et Hitler le rabroue, exige qu’on chasse le général Weygand de son poste de chef de l’armée en Afrique du Nord.
Le Führer dénonce les fourberies des Français, évoquant même les seize mille Allemandes qu’auraient violées, en 1919, les Sénégalais !
Mais durant cet automne et cet hiver 1941, Hitler ne se contente pas de frapper avec des mots !
Il fait exécuter des dizaines d’otages : quatre-vingt-dix-huit en octobre et, à Paris du 8 au 14 décembre, cent autres !
Le couvre-feu est fixé à 18 heures et une amende de un milliard est infligée aux Juifs.
Pétain a d’abord pensé, pour arrêter ces exécutions d’otages, à se constituer prisonnier, en se rendant dans la zone occupée.
« Nous sommes déshonorés, a-t-il dit, tout ce sang va retomber sur nous. »
Sa voix semble éteinte, ses yeux sont embués de larmes. Il est devenu un vieillard sans ressort.
Mais il renonce vite à toute idée de protestation.
Il restera à Vichy. Il renverra Weygand comme l’exigent les Allemands.
À l’amiral Leahy qui l’interroge sur sa « capitulation », il répond seulement :
« Je suis prisonnier. »
L’ambassadeur américain constate :
« Le maréchal Pétain n’est plus que le reflet émouvant de celui qui a été autrefois le grand chef d’un grand peuple. »
Émouvant ?
Pétain trouve assez de force pour répondre au message de fidélité que lui a envoyé le colonel Labonne qui, faute de meilleur candidat – Labonne a été attaché militaire en Turquie et rien ne le qualifie pour diriger une unité au cours d’une campagne de Russie –, commande la LVF.
« À la veille de vos prochains combats, lui répond Pétain, je suis heureux de savoir que vous n’oubliez pas que vous détenez une part de notre honneur militaire…
« En participant à cette croisade dont l’Allemagne a pris la tête, acquérant ainsi de justes titres à la reconnaissance du monde, vous contribuez à écarter de nous le péril bolchevique : c’est votre pays que vous protégez ainsi en sauvant également l’espoir d’une Europe réconciliée… »
Ce thème de la croisade, le cardinal Baudrillart, de l’Académie française, recteur de l’Université catholique de Paris, le reprend et l’amplifie :
« Entre christianisme et communisme, il ne peut y avoir d’alliance, déclare-t-il.
« En Russie, les volontaires de la LVF combattent pour leur famille et pour leur patrie et en même temps pour la civilisation chrétienne de l’Occident menacée depuis longtemps par la barbarie communiste. »
Le cardinal cite Péguy, évoque Saint Louis, Jeanne d’Arc. « Ce qui se joue, poursuit-il, c’est l’affrontement dans un combat définitif des puissances du Bien et du Mal… »
Les « légionnaires se rangent parmi les meilleurs fils de France.
« Notre Légion est l’illustration agissante du Moyen Âge de notre France des cathédrales ressuscitée…
« En vérité, cette Légion constitue, à sa manière, une chevalerie nouvelle. Ces légionnaires sont les croisés du XXe siècle. Que leurs armes soient bénies ! Le tombeau du Christ sera délivré ! ».
Le cardinal Baudrillart exprime avec vigueur l’une des justifications de la collaboration.
Et deux comités d’honneur se constituent – l’un en zone occupée, l’autre en zone libre – pour inciter à l’enrôlement dans la Légion des volontaires français contre le bolchevisme.
Des académiciens – Baudrillart, Abel Bonnard, Abel Hermant –, des écrivains – Alphonse de Châteaubriant –, des savants – Georges Claude –, des membres de l’institut – Auguste Lumière – en font partie.
L’antibolchevisme incarné dans la LVF rassemble ainsi tous les courants de la collaboration ; le « conservateur » et le « révolutionnaire », Vichy et Paris.
Le maréchal Pétain, longtemps hostile à toute collaboration militaire avec l’Allemagne, reçoit deux fois le « lieutenant » Jacques Doriot, décoré de la croix de fer.
Et le fondateur du Parti populaire français – qui combat sous l’uniforme allemand – célèbre les légionnaires morts en Russie « aux côtés de camarades allemands tués dans la même bataille ».
« Ils symbolisent, affirme Doriot, la réconciliation de deux grands peuples européens que nous voulons complète. »