26.
Ce « renard » de Rommel est devenu en 1941 une figure de légende.
Il hante les Britanniques qui se souviennent de la rapidité avec laquelle Rommel a conquis la Cyrénaïque au printemps 1941.
Les Anglais ont découvert que le « renard du désert » les a bernés souvent, alors qu’il n’avait à sa disposition que quelques centaines de chars. Et maintenant il assiège Tobrouk.
L’état-major anglais rêve de le prendre au piège, de le capturer car l’intelligence Service a réussi à l’automne à localiser le siège du QG du « Renard ».
Il serait situé à Breda Littoria, à 320 kilomètres du front. Des commandos britanniques débarquent à proximité. Ils parlent allemand, ne portent sur leur uniforme aucun signe distinctif. Ils trompent les sentinelles, pénètrent dans la maison où Rommel devrait résider. Échange de coups de feu, des Allemands sont tués ainsi qu’un officier britannique.
Rommel a bien séjourné dans cette maison, mais il l’a quittée il y a quelques jours.
Cet échec conforte la légende du Renard qui parcourt en véhicule blindé des centaines de kilomètres. Et parfois, il est au milieu des troupes anglaises.
Rommel est à bord d’un Mammouth, un véhicule britannique capturé. Avec lui, l’autre chef allemand, le général Cruewell et son état-major. À ces dix officiers s’ajoutent cinq soldats.
Nuit angoissante.
« Des soldats indiens porteurs de messages passaient constamment près du Mammouth ! Des chars anglais avançaient vers le front et des camions de marque américaine circulaient à travers le désert. Personne ne se doutait que les généraux commandant le groupe blindé de l’Afrikakorps se trouvaient là, dans cet ancien véhicule anglais, parfois à deux ou trois mètres. »
C’est ainsi que se forge auprès de ses troupes l’attachement à un chef légendaire, qui circule en première ligne et échappe à l’ennemi de façon miraculeuse.
Rommel aimerait pourtant quitter la Cyrénaïque, l’Afrique. Il écrit à son épouse, sa « chère Lu » :
« Chaleur effroyable, répète-t-il, invasion de moustiques, chaleur féroce aussi bien la nuit que le jour. L’eau de mer est trop chaude pour nous rafraîchir… Les nouvelles victoires remportées en Russie font plaisir à entendre. Ici, tout est calme pour le moment. Mais je ne me leurre pas. Nos tenaces amis de l’autre bord reviendront tôt ou tard. Je commence à recevoir les premières félicitations à l’occasion de ma promotion au grade de général de blindés. Bien entendu, je n’ai encore rien reçu d’officiel, mais je crois comprendre que cela a été annoncé à la radio.
« Je passe ordinairement une bonne partie de mon temps à circuler. Hier, je suis resté sur les routes pendant huit heures. Vous vous imaginerez sans peine la soif qui m’étreint après une telle randonnée.
« J’espère pouvoir partir en avion pour me rendre au QG du Führer dans une quinzaine.
« Il ne serait pas bon de le faire avant que l’affaire de Russie soit plus ou moins terminée car on n’accorderait pas beaucoup d’attention à mes intérêts…
« Le commandement italien est mécontent d’avoir si peu son mot à dire dans ce qui se fait ici… Peut-être veut-il un éclat pour se débarrasser de ma présence ou même de celle des forces allemandes. Ce n’est pas moi, pour sûr, qui regretterais de changer de théâtre d’opérations. »
Il ne quittera pas l’Afrique. Il sait que les Britanniques préparent sous la direction du général Auchinleck une contre-offensive. Sans doute sera-t-elle déclenchée au mois de novembre.
D’ici là…
« Je suis allé chasser hier soir avec le major von Mellenthin et le lieutenant Schmidt. Ce fut passionnant. Finalement, j’ai tiré une gazelle à la course, de la voiture. Nous avons mangé le foie au dîner. Délicieux. »
Il écrit à son fils, Manfred :
« Je t’écrirai plus souvent maintenant que tu es seul à la maison, commence-t-il.
« Ici, tout se déroule comme prévu. Je vais voir les troupes tous les jours. La plupart d’entre elles stationnent au bord de la mer. Nous nous baignons parfois. L’eau est encore très chaude et la chaleur reste très forte dans la journée, mais il fait maintenant si frais la nuit qu’il me faut deux couvertures. Ma nouvelle maison est très bien meublée. Le mur est couvert de cartes variées. Il y a surtout des cartes de Russie et nous y marquons immédiatement chaque avancée. »
En octobre 1941, Rommel croit encore à une campagne de Russie, brève, une réédition de la Blitzkrieg dont il a été un des acteurs en mai-juin 1940. Et il a l’impression d’être sur un théâtre d’opérations secondaire.
On devine sa frustration quand il s’exclame :
« Maintenant, tous ces communiqués spéciaux sur la Russie ! Je me demande si la Grande-Bretagne ne va pas bientôt commencer à avoir froid dans le dos ! »
Il se console… en commentant les « bonnes nouvelles » qu’il a reçues de Voggenreiter – son éditeur : « Mon éditeur dit que les droits d’auteur pour la grande édition (50 000 exemplaires) ne seront pas inférieurs à 25 000 marks. En même temps, Mittler & Sollin m’annoncent un crédit de 1 021,5 marks ! »
Il s’agit de son livre Infanterie greift an (L’infanterie attaque), dont plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires (400 000 peut-être) ont été vendus.
« Cela fait une somme intéressante », conclut-il.
Il est, durant tout le mois d’octobre, passionné par ce qui se passe en Russie.
« Nouvelles splendides de Russie ! Après la fin des grandes batailles, nous pouvons espérer avancer vers l’est rapidement et enlever ainsi à l’ennemi la possibilité de constituer de nouvelles forces importantes. […] La Grande-Bretagne serait trop contente d’attaquer, mais elle ne possède ni les troupes ni le matériel qu’il faut pour effectuer un grand débarquement en Europe. »
Il est confiant, optimiste.
« L’Angleterre arrivera trop tard pour la Russie tandis qu’une attaque en Libye serait assez hasardeuse… Dès que nous aurons pris Tobrouk, il ne lui restera pas beaucoup d’espoir ici. »
Il chasse. Il organise un voyage à Rome où sa « très chère Lu » doit le rejoindre.
« Je pense que la situation me permettra de nous retrouver le 1er novembre… et de rester jusqu’au 15. Mais apportez-moi des vêtements civils (le costume marron). »
Mais Churchill a enfin décidé le général Auchinleck à lancer l’opération Crusader, dont l’objectif est de briser l’encerclement de Tobrouk.
Et quand Rommel rentre en Afrique le 18 novembre 1941, la bataille est engagée.
« Très chère Lu, écrit Rommel, le 20 novembre.
« L’offensive ennemie a commencé immédiatement après mon retour. La bataille vient d’atteindre son point critique. J’espère que nous nous en sortirons en bon ordre. Tout sera probablement décidé au moment où cette lettre vous parviendra. Notre situation n’est assurément pas facile.
« Je vais aussi bien que possible. »
Rommel lance ses Panzers sur les arrières de l’ennemi qui reflue. Aucune aide n’a été apportée aux troupes d’Auchinleck par la garnison de Tobrouk, toujours encerclée.
Le 27 novembre, Rommel peut écrire à sa femme :
« Je vais très bien. Je viens de passer quatre jours à exécuter une contre-attaque dans le désert sans rien pour me laver. Nous avons remporté un magnifique succès…
« C’est aujourd’hui le vingt-cinquième anniversaire de notre mariage. Peut-être sera-t-il l’occasion d’un communiqué spécial ! Je n’ai pas besoin de vous dire quelle est notre union. Mais je veux vous remercier de tout l’amour et de toute la bonté que vous m’avez prodigués pendant ces années qui ont passé si vite. Je pense à vous avec gratitude, ainsi qu’à notre fils qui est pour moi une source de fierté. Avec ses dons magnifiques, il devrait aller loin.
« Je m’arrête ici. Notre prochaine manœuvre commence déjà.
« Je suis en excellente forme, plein d’entrain, prêt à tout. »
Quelques jours plus tard, contredisant les communiqués de victoire diffusés par le haut commandement de la Wehrmacht, Rommel confie à Lu :
« J’ai dû rompre l’action devant Tobrouk, à cause des unités italiennes et aussi de la terrible fatigue des troupes allemandes. J’espère que nous réussirons à échapper à l’encerclement et à tenir en Cyrénaïque.
« Je vais toujours bien.
« Vous pouvez imaginer ce que j’éprouve et mes inquiétudes.
« À ce qu’il semble, nous n’aurons pas de Noël, cette année. »