8.

Barbarossa : c’est l’obsession de Hitler en ce printemps de 1941.


Les victoires remportées depuis 1939 ne constituent que le prologue glorieux et nécessaire à ce grand affrontement avec le foyer du judéo-bolchevisme, cette Russie soviétique qui, depuis 1917, a tenté d’infecter le Reich.

L’heure de la guerre est venue. Et il faut que ceux qui auront la charge de la conduire sur le terrain dans ce qui sera, après la victoire, le Lebensraum – l’espace vital – de la race germanique comprennent que l’enjeu est tel qu’il faut abandonner les vieilles règles du combat, armée contre armée.


Cette guerre sera le heurt de deux idéologies. Le national-socialisme contre le bolchevisme, les hommes contre les sous-hommes.


La pitié doit être exclue dans ce corps à corps qui décidera du destin du Reich, de l’Europe, du monde.

Il faut que les chefs d’état-major des trois armes – Wehrmacht, Kriegsmarine, Luftwaffe – soient convaincus qu’il n’est plus temps de conserver les préjugés de caste que les officiers, souvent des aristocrates, appellent l’honneur du soldat.

Il n’y a qu’un seul honneur, il s’appelle Victoire et pour l’obtenir tous les moyens sont bons.

Hitler a réuni les chefs d’état-major. Ils sont assis devant lui. Ils devront comprendre, obéir.


« Le caractère que présente notre guerre contre la Russie, commence Hitler, est tel qu’il doit exclure les formes chevaleresques.

« Il s’agit d’une lutte entre deux idéologies, entre deux conceptions raciales. Il importe donc de la mener avec une rigueur sans précédent et implacable.

« Tous, vous allez devoir vous libérer de vos scrupules périmés. »

Il s’interrompt, dévisage l’un après l’autre ces généraux, ces Feldmarschall, ces amiraux.

Tous baissent les yeux comme s’ils ne pouvaient soutenir son regard. Il est le Führer. Ils lui ont prêté serment. Il est le chef des armées du Reich.

Hitler en est persuadé : à la fin tous obéiront.


« Je sais que l’obligation où nous sommes d’adopter cette façon de faire la guerre vous échappe, reprend-il, chargeant sa voix de colère et de mépris.

« Mais je tiens formellement à ce que mes ordres soient obéis sans discussion.

« L’idéologie soviétique est aux antipodes de celle qui régit le national-socialisme. Par conséquent… »

Il laisse le silence se répandre, jusqu’à ce que la tension dans la salle devienne palpable.

« Par conséquent, les Soviétiques doivent être liquidés ! Liquidés !

« Les soldats allemands coupables de contrevenir aux lois internationales de la guerre seront innocentés. »

Il ricane :

« Innocentés ! L’Union soviétique n’ayant pas adhéré à la Convention de La Haye ne pourra s’en réclamer ! »


Les von Manstein, les von Rundstedt, les Halder, les Brauchitsch, les Keitel vont juger scandaleuse, outrageante, cette Kommissarbefehl – cette directive qui vise les « commissaires politiques », ces membres du parti communiste chargés de surveiller, d’encadrer soldats et officiers.

Ces « Soviets »-là, souvent juifs, comment ces généraux, ces maréchaux pourraient-ils les défendre, eux qui, depuis 1917, dénoncent les « bolcheviques » qui ont voulu détruire l’armée allemande, comme ils avaient décomposé l’armée du tsar !


Et pourtant, ces généraux murmurent, protestent auprès du commandant en chef von Brauchitsch.

Mais, Hitler en est persuadé, tous plieront, ou laisseront faire leurs subordonnés, détournant les yeux, ne voulant ni voir ni savoir.

Et sur son ordre, d’autres directives vont compléter, préciser la Kommissarbefehl.


Elles se succèdent tout au long du mois de mai 1941.

Pour fusiller toute personne soupçonnée d’un acte criminel, il n’est plus nécessaire de réunir un conseil de guerre ou une cour martiale.

« Un officier jugera s’il y a lieu de fusiller. »

On sera indulgent avec les Allemands. On se souviendra du mal causé au Reich par les bolcheviques depuis leur révolution.


Hitler précise aussi le sort réservé à la Russie. Elle sera dépecée, émiettée.

Il charge Himmler, Rosenberg, Goering de préparer le démembrement de la Russie, dans le but de renforcer définitivement le « Grand Reich allemand ».

Rosenberg – compagnon de Hitler depuis Munich et le « putsch de la brasserie », cette tentative de prise de pouvoir en 1923 – déclare :

« Nos conquêtes à l’est doivent tenir compte avant tout d’une nécessité primordiale : nourrir le peuple allemand. »


Goering, chargé de l’exploitation économique de la Russie, est plus explicite.

Il faudra dépouiller la population de toutes réserves alimentaires. Qu’elle se remette à des « cultures agricoles primitives ».

Et, entre-temps, qu’elle subisse la famine.

« Que ceci soit compris clairement une fois pour toutes ! insiste-t-il.

« Sans aucun doute si nous enlevons à la Russie les stocks de vivres qui sont nécessaires à l’Allemagne, la famine sévira et plusieurs millions de Russes mourront. »

Mais ce sont des Untermenschen, et ces sous-hommes peuvent, doivent être exterminés ! Comme l’ont été par dizaines de milliers les débiles mentaux, les vieillards, des Allemands pourtant, mais que le Führer avait jugés indignes de vivre.

Comme l’avaient été aussi par centaines de milliers déjà les Juifs et les notables polonais.

Cette politique d’extermination est une politique de purification, conclut Goering.


Dans les bureaux des ministères du Reich, de paisibles fonctionnaires complètent les directives, dressent des listes, rassemblent des données statistiques. On évalue l’importance des communautés juives. On demande la construction de camps pour les regrouper.

On envisage les moyens de les réduire, de les annihiler. La famine est efficace, mais agit lentement.

On étudie, à la lumière de l’extermination des malades mentaux et des handicapés allemands, l’utilisation des gaz.

Mais il est peu pratique de se servir des gaz d’échappement de moteur de camions, comme cela a été fait.

Il faut prévoir d’autres méthodes de « gazage ».

Himmler y songe.


Quant au Führer, en ce deuxième printemps de guerre, une nouvelle fois victorieux, et dans l’attente du déclenchement de l’opération Barbarossa, il savoure au Berghof la limpide beauté des cimes enneigées.

Qui peut résister à sa volonté ?

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