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Ces mondanités parisiennes, diplomatiques et culturelles, grisent l’ambassadeur Otto Abetz.
Il voudrait jouer un grand rôle dans cet ordre nouveau européen qui se met en place. Dès l’avant-guerre, il a noué des relations suivies avec des « amis de l’Allemagne ». Il connaît bien l’essayiste Benoist-Méchin, qui rêve lui aussi d’être l’un des inspirateurs de cette entente franco-allemande, dont la défaite, l’occupation et la collaboration peuvent enfin favoriser l’avènement.
Abetz a rencontré, au début du mois de janvier 1942 à Berlin, Hitler et Ribbentrop, le ministre des Affaires étrangères du Reich.
Il a laissé entendre que le vice-président du Conseil du gouvernement de Vichy, l’amiral Darlan, et son secrétaire d’État, Benoist-Méchin, sont prêts à engager des négociations, avec le Führer, qui pourraient conduire à l’entrée en guerre de la France aux côtés de l’Allemagne, contre l’Angleterre et les États-Unis.
Hitler et Ribbentrop silencieux ont laissé Abetz s’engager, explorer cette voie, qui pourrait permettre à l’Allemagne de s’approprier la flotte française et des points d’appui dans l’Empire colonial, en Tunisie, ce qui aiderait l’Afrikakorps de Rommel.
De retour à Paris, Abetz s’entretient avec Benoist-Méchin. Chacun veut duper l’autre.
Abetz prête à Hitler des propos que le Führer n’a pas tenus.
« La France est-elle disposée à marcher avec moi jusqu’au terme du conflit d’où sortira un monde nouveau ? » aurait dit Hitler.
— Le Führer, précise Abetz, n’exige pas une réponse catégorique qui vous lie : c’est un sondage. J’ai besoin de rapporter à Berlin une réponse de principe.
Benoist-Méchin se rend à Vichy, voit Darlan, le maréchal Pétain.
— On ne peut répondre négativement à Hitler, plaide-t-il. Le Führer nommerait à Paris un Gauleiter et c’en serait fini de la zone libre, du gouvernement de Vichy. Laissons croire à Hitler…
Pétain interrompt Benoist-Méchin :
— J’ai sorti la France de la guerre, dit-il, ce n’est pas pour l’y faire rentrer aux côtés de l’Allemagne. Il faut faire porter le « oui » à Hitler essentiellement sur l’ouverture des pourparlers, mais bien entendu ne rien préciser en ce qui concerne les obligations nouvelles de la France.
Alors que tombent chaque jour des milliers d’hommes, en Russie, aux Philippines, en Indonésie, en Pologne, en Ukraine, qu’on massacre les Juifs par dizaines de milliers, que la Royal Air Force commence à bombarder les usines françaises, provoquant des centaines de morts, que les Allemands fusillent des otages, déportent des résistants, les hommes de Vichy imaginent duper les nazis. Négocier avec eux sans entrer dans la guerre à leurs côtés.
Otto Abetz, dans son désir d’être le maître d’œuvre d’une grande politique, câble à Berlin cette information surprenante.
« Le 11 janvier 1942 a eu lieu à Vichy une délibération des ministres Darlan, Henri Moysset, Romier, Bouthillier, Pucheu et Benoist-Méchin, avec le maréchal Pétain.
« Cette délibération qui a revêtu un caractère solennel aboutit à l’unanimité dans la décision de déclarer la guerre à l’Angleterre et aux États-Unis, après clarification des questions préliminaires que j’avais mentionnées à Benoist-Méchin, et de mener cette guerre aux côtés de l’Allemagne sans réserve jusqu’à la victoire.
« Le Maréchal, l’amiral, ainsi que les ministres considèrent cette déclaration de principe comme une conséquence logique de la politique de collaboration souhaitée par eux et offerte à Montoire le 24 octobre 1940 par le gouvernement du Reich.
« Les personnes qui prirent part à cette délibération s’engagèrent mutuellement à garder le secret le plus absolu. »
Cette délibération secrète a-t-elle eu lieu ?
Benoist-Méchin a-t-il trompé Abetz, en l’imaginant ?
Abetz se laisse-t-il ainsi berner, ou bien la réunion s’est-elle tenue ?
Mais peut-être la « délibération secrète » n’est-elle qu’un moyen « d’attendre et de voir » l’évolution de la situation militaire qui, en ce mois de janvier 1942, est périlleuse pour les Allemands. On leur promet une rentrée en guerre, et on les fait patienter avec des pourparlers « préliminaires ».
Quant à Pétain, il veille à préserver son image, et donc sa Popularité.
Il se place au-dessus des factions. Dans son discours radiodiffusé du 31 décembre 1941, n’a-t-il pas dit, s’en prenant aux « gaullistes » de Londres et aux « collaborationnistes extrémistes » de Paris :
« J’ai le devoir d’appeler déserteurs tous ceux qui, dans la presse comme dans la radio, à Londres comme à Paris, se livrent à d’abjectes besognes de désunion…
« Dans l’exil partiel auquel je suis astreint, dans la demi-liberté qui m’est laissée, j’essaie de faire tout mon devoir.
« Chaque jour je tente d’arracher ce pays à l’asphyxie qui le menace, aux troubles qui le guettent.
« Aidez-moi ! »
Les lettres et messages de soutien affluent à Vichy. L’ambassadeur américain, l’amiral Leahy, toujours en poste auprès du Maréchal, se félicite.
« Jamais les relations des États-Unis avec le gouvernement de Vichy n’ont été meilleures », commente-t-il.
À Paris, les partisans d’un engagement total aux côtés de l’Allemagne – Marcel Déat, Jacques Doriot – s’indignent. Ils contrôlent la presse – financée par les Allemands. On lit dans le journal L’Œuvre :
« La France va courir un danger probablement plus grand qu’au moment de l’armistice. Nos attentistes sont en proie à une véritable démence et les propos de l’amiral Leahy, l’homme de Roosevelt, sont désormais l’évangile quotidien de Vichy. »
Double, triple, quadruple jeu !
Mais Vichy continue de verser aux Allemands la fabuleuse indemnité d’occupation qui ruine le pays, plonge la population dans la misère et la faim.
Mais les Allemands exigent le départ de 150 000 travailleurs volontaires pour le Reich.
Vichy tergiverse, mais les Allemands raflent les jeunes gens ainsi « recrutés » de force. Et les pelotons d’exécution de la Wehrmacht continuent de fusiller. Et la Gestapo, de torturer.
Le 23 janvier 1942, Goebbels écrit dans son journal :
« À mon avis, notre politique à l’égard de la France est un quasi-échec… J’ignore si demain ou après-demain nous ne serons pas de nouveau en guerre ouverte… »