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Les paroles de De Gaulle, en cette fin d’année 1942, dans une France désormais entièrement occupée, irriguent tous les mouvements de résistance.


« Contre Vichy, contre Hitler, vive l’unité de la Résistance française », titre Le Populaire, le journal clandestin du parti socialiste.

Jean Moulin, avec émotion, découvre que le journal reproduit l’Adresse de toute la Résistance française à Roosevelt et à Churchill.

Voilà des semaines – depuis le débarquement américain en Afrique du Nord, le 8 novembre – que Moulin, voyant les chefs de réseau les uns après les autres, s’emploie à obtenir cette unité autour de De Gaulle et de la France Combattante.

Les mouvements saluent avec reconnaissance le général de Gaulle chef incontesté de la Résistance, qui groupe plus que jamais tout le pays derrière lui.

« Ils demandent instamment que les destinées nouvelles de l’Afrique du Nord libérée soient remises au plus tôt entre les mains du général de Gaulle. »


Jean Moulin va de Nice à Lyon, à Toulouse. Il peut même, puisqu’il n’y a plus de ligne de démarcation, se rendre à Paris.

Mais la prudence s’impose.

La police de Vichy le surveille, mais il n’est, pour elle, qu’un préfet à la retraite. Il ne cache pas qu’il ne partage pas les idées de Laval, mais cette franchise est gage de sincérité. N’a-t-il pas été reçu par Laval ?


La Gestapo est, elle, plus méfiante. Elle s’est installée dans toutes les grandes villes de l’ancienne zone libre.

Heureusement, Nice est occupée par les Italiens, et l’OVRA – la police de Mussolini – est moins efficace que la Gestapo.

Moulin est donc toujours sur ses gardes.

Il est l’homme clé de la Résistance, celui qui contrôle les liaisons avec Londres, donc les lieux, les dates des parachutages.

C’est lui qui reçoit et répartit les fonds envoyés par Londres, et les armes.

Ces pouvoirs décisifs suscitent, il le sait, contestations ici et là, inquiétudes et jalousies.

Mais la volonté d’unité, de fusion, l’emporte sur les ferments de division.


Et puis il y a, plus forte que tout, la volonté de se battre. Des maquis surgissent en ce mois de décembre 1942 – ainsi dans l’Ain.

La Résistance organise autour d’un attaché de la SNCF – René Hardy – un réseau Fer, pour coordonner la « bataille du rail ».

Chaque mouvement de résistance se dote de corps francs.

L’Armée secrète (AS), commandée par le général Delestraint, se constitue cependant que se crée l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA). Elle regroupe les officiers « giraudistes », ceux qui ont choisi Pétain en 1940 et lui sont encore fidèles.

L’un d’eux, le général Frère, a même présidé le tribunal militaire qui, en août 1940, a condamné de Gaulle à mort ! Mais ils sont « patriotes » et… soucieux de leur avenir maintenant que la victoire allemande s’éloigne.

À cela s’ajoutent le Front National, les Francs-Tireurs et Partisans Français, la MOI, liés au parti communiste.

Or l’entrée des troupes allemandes en zone libre a fait basculer dans la guerre cette France de Vichy, moins exposée depuis 1940.

L’ennemi est désormais présent : les corps francs, les FTPF, les « terroristes » de la MOI l’attaquent.


À Lyon, un Allemand est blessé à coups de pistolet.

À Toulon, un convoi de la Wehrmacht est attaqué.

À Limoux, des républicains espagnols abattent le premier SS tué en zone Sud. Des policiers de Vichy, des membres du Service d’Ordre Légionnaire sont visés : la Résistance doit, proclame-t-on, « châtier les traîtres ».

On attaque des prisons, pour libérer les « patriotes » détenus. Un commando, le 24 décembre, arrache Bertie Albrecht, la compagne du fondateur de Combat Henri Frenay, de l’asile d’aliénés de Bron où elle avait réussi à se faire transférer de la prison Saint-Paul en simulant la folie.

Les sabotages se multiplient.


Il s’agit de créer pour les troupes d’occupation et les collaborateurs un climat d’insécurité.

Dans le nord de la France – l’ancienne zone occupée –, les attaques contre les soldats allemands se multiplient. Des sentinelles sont abattues.

À Amiens, dans la nuit de Noël, le chef FTP de la Somme fait exploser une bombe en plein milieu du réveillon au café-restaurant Le Royal, devenu Soldatenheim.


La réplique de l’occupant est implacable.

Le 26 décembre 1942, la presse publie le compte rendu suivant :

« Rennes, le 25 décembre – Au palais de justice de Rennes s’est ouvert devant le tribunal militaire allemand le procès intenté par les autorités d’occupation à trente terroristes, dont deux femmes, accusés d’attentats, d’actes de sabotage commis à Rennes et dans la région, de vol d’explosifs et de détention d’armes. […] On leur reproche, et leurs aveux confirment ces accusations, de nombreux attentats commis au cours des derniers mois et dont voici les principaux : attentats contre des bureaux d’embauchage de travailleurs français en Allemagne, contre le siège du Francisme, contre le local de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, contre M. Doriot au théâtre de Rennes, contre des installations de l’armée allemande. Parmi les actes de sabotage qui leur ont été reprochés, citons la destruction de lignes téléphoniques, de câbles à haute tension et de matériel ferroviaire. »


Seize de ces trente « patriotes » seront condamnés à la peine capitale.

Mais la répression ne peut étouffer la Résistance. Au contraire. Dans son rapport du mois de décembre 1942, le préfet de la Somme écrit :

« Je vous ai signalé la recrudescence, au cours du mois de décembre, des sabotages et attentats… des centaines de perquisitions et cinq arrestations ont été opérées. Cependant, malgré le renforcement de la garde des installations ferroviaires ordonné par l’autorité occupante, plusieurs actes de sabotage ont été commis sur la voie ferrée. »

C’est le temps de l’Armée des ombres.



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