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Hitler, sur le front russe, voulait que ses armées atteignent la Volga et prennent Stalingrad.

Rommel, en Afrique, espérait pouvoir conquérir Le Caire et Alexandrie, étrangler l’Empire britannique en contrôlant – en serrant entre les chenilles de ses panzers – le canal de Suez.


Il sait que ses troupes sont épuisées après la dure bataille qu’il a conduite pour, le 21 juin 1942, s’emparer de Tobrouk.

Il ne dispose pas des centaines de chars et de voitures blindées qu’exigent ses ambitions. La Méditerranée est aux mains des Britanniques, à partir de ce centre nerveux qu’est Malte. Et les convois venus d’Italie sont attaqués, décimés.

Et cependant Rommel veut agir.


« Nous voulions donc, écrit le Feldmarschall, surprendre la 8e armée anglaise par une attaque éclair et la contraindre à la bataille avant qu’elle ait pu recevoir des renforts du Moyen-Orient. Au cas où nous réussissions à détruire les restes – de la 8e armée –, il ne resterait rien aux Britanniques pour nous fermer l’Égypte ou arrêter notre avancée sur Alexandrie et le canal de Suez. »

Rommel, en dépit des réticences des généraux italiens ou allemands, réussit à faire accepter son projet d’offensive par le Duce et le Führer.

Le manque de carburant, de matériel, handicape l’Afrikakorps, mais les Anglais reculent si vite devant l’assaut des Allemands, si précipitamment, qu’ils abandonnent stocks d’essence, véhicules blindés et même avions en état de marche.

En avant donc !


23 juin 1942.

« Très chère Lu,

« Nous sommes en route et nous espérons frapper notre prochain coup dans peu de temps. La vitesse est maintenant la grande affaire… Je me porte bien et dors comme une souche. »


L’Afrikakorps avance vers l’est, vers la place forte côtière de Mersa Matrouh et, au-delà, vers El-Alamein.

« Très chère Lu,

« Nous avons accompli un grand bond en avant au cours de ces derniers jours et nous espérons lancer notre attaque aujourd’hui, 26 juin, contre ce qui reste de l’ennemi. Depuis plusieurs jours, je campe dans ma voiture avec Gause – le chef d’état-major. Nous avons tout le temps bien mangé ; quant à nous laver, c’est une autre affaire. Mon QG s’est trouvé au bord de la mer pendant les vingt dernières heures et je me suis baigné hier et aujourd’hui. Mais l’eau ne rafraîchit pas, elle est trop chaude. Énormément à faire. [Les généraux] Cavallero et Rintelen viennent aujourd’hui, probablement pour freiner autant qu’ils pourront. Ces gens-là ne changeront jamais ! »


Les Anglais reculent. Des combats de chars ont lieu dans le désert, ils se poursuivent dans la nuit.

« À peine distingue-t-on sa main devant soi.

« C’est une mêlée insensée. »

La Royal Air Force bombarde ses propres troupes. « Et dans un beau vol de balles traçantes, les unités allemandes se tirent les unes sur les autres. »

Quant aux Italiens, ils ouvrent le feu sur les véhicules de l’Afrikakorps.

« Je le répète, à cause de nos camions récupérés sur l’ennemi, il n’y a plus moyen de nous distinguer de l’ennemi. »

« Très chère Lu,

« Nous sommes toujours en mouvement et nous espérons que cela durera jusqu’à la fin. C’est épuisant, bien sûr, mais voici la chance de notre vie. L’ennemi riposte désespérément avec son aviation.

« P.-S. L’Italie en juillet reste possible. Prenez vos passeports ! »


Les combats sont acharnés. Pour rompre l’encerclement, la 4e brigade néo-zélandaise, déployée baïonnette au canon, perce à pied au clair de lune.

Au terme de cette bataille de Mersa Matrouh, les unités de tête de l’Afrikakorps ne sont plus qu’à 200 kilomètres d’Alexandrie.


« Nous aurons encore quelques combats à livrer avant d’atteindre notre but, mais j’estime que le pire est très loin derrière nous.

« Je vais très bien.

« Certaines actions exigent un effort qui conduit au bord de l’effondrement physique, mais il y a des périodes plus calmes où l’on peut se rétablir. Nous sommes déjà à 480 kilomètres à l’est de Tobrouk ! Le réseau ferroviaire et routier des Anglais est de premier ordre ! »


Le 30 juin, alors que Mersa Matrouh est tombé hier, Rommel peut écrire à sa « très chère Lu » : « L’armée s’est remise en marche jusqu’à une heure avancée de la nuit. Nous sommes à 95 kilomètres plus à l’est. À moins de 160 kilomètres d’Alexandrie. »


Et cependant, Rommel ne verra pas sa femme en Italie, en juillet, comme il l’avait espéré.

Le vent tourne pour l’Afrikakorps parvenu devant El-Alamein.

Il ne reçoit d’Italie que le vingtième de ses besoins. Des généraux britanniques plus habiles et talentueux – Auchinleck et Montgomery – ont pris la tête de la 8e armée et Rommel est contraint d’arrêter son offensive.


« On perd ici la notion du temps, écrit-il. Lutte acharnée pour la dernière position avant Alexandrie. J’ai été au front pendant quelques jours, vivant dans la voiture ou dans un trou de sable. L’aviation ennemie nous a mené la vie dure.

« J’espère cependant mener mon affaire à bien. Très chère Lu, je vous remercie du fond du cœur pour toutes vos lettres bien-aimées. »



Les 4 et 5 juillet 1942, il constate : « Les choses ne tournent malheureusement pas comme je le voudrais. La résistance est trop grande et nos forces sont épuisées. J’espère pourtant trouver un moyen d’atteindre notre but. Je suis exténué.

« Nous vivons des journées très critiques. Mais j’espère les voir passer… Le rassemblement de nos forces est fort lent.

C’est dur d’avoir ainsi à piétiner à 90 kilomètres d’Alexandrie. Mais cela aussi aura une fin. »


Ce ne sera pas celle que Rommel espérait.

L’Afrikakorps est arrêté devant El-Alamein, comme si les efforts surhumains déployés lui interdisaient de conclure l’offensive. Les troupes britanniques de la 8e armée, au sein desquelles combattent les Français Libres, résistent victorieusement.


« Très chère Lu, écrit Rommel le 17 juillet 1942.

« Les choses vont vraiment très mal pour moi en ce moment, tout au moins dans le domaine militaire. L’ennemi profite de sa supériorité, particulièrement en infanterie, pour détruire les formations italiennes une par une ; et les unités allemandes sont bien trop faibles pour rester seules. Il y a de quoi pleurer. »

Le lendemain, 18 juillet, il ajoute :

« La journée d’hier a été particulièrement dure et critique. Nous nous en sommes encore tirés. Mais cela ne peut aller longtemps ainsi, ou bien le front craquera. Militairement, c’est la période la plus difficile que j’aie traversée. Il y a de l’aide en vue naturellement, mais vivrons-nous assez pour la voir arriver ? Je suis, vous le savez, un optimiste impénitent. Il y a pourtant des situations où tout est sombre. Cette période, il est vrai, passera elle aussi. »

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