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Hitler noue ses mains, les presse comme s’il voulait écraser entre ses paumes les réticences qu’il devine chez ses généraux.

Il va et vient dans sa « tanière du loup », son Grand Quartier Général situé à Rastenburg, au cœur de la forêt de Prusse-Orientale, non loin de la frontière avec ce qui fut la Pologne et qui n’est plus que le Gouvernement général à la tête duquel se trouve Hans Frank, dont l’obsession est de parvenir à la « solution finale » de la question juive.


Mais, en cette fin du mois de mars 1942, Hitler est d’abord obsédé par son projet d’offensive d’été en Russie.

« Si je ne m’empare pas du pétrole du Caucase, des puits de Maïkop et de Grozny avant l’offensive d’été, dit-il au général Paulus commandant de la VIe armée, autant en rester là tout de suite. »

Mais tous ses propos, son attitude fébrile montrent qu’il est décidé à lancer ses armées d’assaut.

Il veut croire qu’il va enfin en finir avec ces Untermenschen, ces barbares slaves, ces judéo-bolcheviques.

Puis tout à coup il se voûte, comme s’il était épuisé.


Ciano, qui le voit à Salzbourg les 29 et 30 avril, à l’occasion d’une rencontre voulue par Hitler, entre le Führer et le Duce, confie :

« Le Führer m’a paru las, vieilli, ses cheveux grisonnent. L’hiver russe l’a profondément marqué. »

Goebbels note dans son journal :

« Ses cheveux sont devenus tout gris. Il m’a avoué souffrir de vertiges. Son état m’inquiète sérieusement. Il manifeste une véritable phobie de la neige et du froid. La Russie est encore ensevelie sous la neige, cela le tourmente énormément. »


Hitler veut penser que l’hiver exceptionnellement rude a été son principal adversaire, le grand allié des Russes. Il a même créé et décerné une nouvelle décoration, la « médaille de l’hiver ».

Mais elle fait ricaner les Frontsoldaten.

« Nous la baptisons dédaigneusement Gefrierfleisch-Orden, la “médaille de la viande congelée”, dit August von Kageneck, officier de panzers.

« Nous découvrons une explication réaliste des couleurs noir-blanc-rouge qui composent la petite bande qu’on nous fixe à la boutonnière : le mince fil noir au milieu, c’est nous, le blanc à droite et à gauche, la neige, et le rouge tout autour, les Russes. »



Hitler ne cherche pas à connaître les sentiments et l’opinion des soldats du front. À son Grand Quartier Général, il veut convaincre ses généraux et les alliés du Reich.

À Salzbourg, les 29 et 30 avril 1942, dans le palais baroque de Klessheim, qui fut la résidence des princes-évêques et qui est décoré de meubles, tapis, tapisseries, tableaux pillés en France, il balaie les inquiétudes de Mussolini.

Hitler a besoin des divisions italiennes. Il doit persuader le Duce que la victoire totale sera acquise avec l’offensive d’été.

Il laisse d’abord parler Ribbentrop.

« L’imminente offensive dirigée contre le Caucase nous livrera ses gigantesques champs de pétrole, assure le ministre des Affaires étrangères du Reich. Quand les stocks soviétiques de pétrole seront épuisés, nous aurons la Russie à notre merci. Ensuite ce sera le tour de la Grande-Bretagne qui courbera l’échine afin de sauver les vestiges de son empire émietté. Quant à l’Amérique ! Ce n’est qu’un énorme bluff. »


Mussolini écoute, accablé.

Des douleurs gastriques le tourmentent depuis qu’il a engagé l’Italie dans la guerre.

Le Duce sait bien ce qu’il faut penser de la puissance américaine – tant d’italiens sont citoyens des États-Unis – et de Churchill, qu’il a autrefois rencontré et dont il connaît l’obstination.

Mais comment peut-il se dégager de cette alliance avec le Reich ?

Comment échapper à ce Führer, capable de tout, et impitoyable avec ceux qui l’abandonnent ?


« Comme toujours, note Ciano, Hitler parle, parle, parle ! Mussolini souffre et rage en silence. Habituellement, c’est lui qui pérore et il supporte mal le renversement des rôles. Le second jour après déjeuner, alors que tout avait été dit, le Führer reprend la parole pendant une heure quarante sans interruption ! Tout y passe, la guerre, la paix, la religion, la philosophie, l’art et l’histoire. Mussolini consulte machinalement sa montre… Pauvres Allemands qui ont à subir cette épreuve tous les jours, alors qu’ils connaissent par cœur chaque mot, chaque geste, chaque pause. Après une lutte épique, le général Jodl finit par s’endormir sur un canapé. Le général Keitel dodeline du chef, mais réussit à garder les yeux ouverts. Il est placé trop près de Hitler pour se permettre de succomber au sommeil. »


Mussolini cède aux pressions de Hitler : il y aura 9 divisions italiennes engagées sur le front russe.

Et les « alliés » du Reich fournissent cette chair d’homme, dont la guerre est grande consommatrice !

Aux divisions italiennes s’ajoutent 27 divisions roumaines, 13 hongroises, 2 tchécoslovaques et 1 espagnole.

Les généraux allemands ne s’illusionnent pas sur les vertus guerrières, l’entraînement, l’armement de ces 52 divisions étrangères. Mais la Wehrmacht manque d’hommes.


Les Russes le savent.

Staline, qui passe ses nuits dans l’abri souterrain aménagé au-dessous du Kremlin en compagnie des généraux, et de ses proches qui constituent le Conseil supérieur – l’état-major –, la Stavka, veut prendre de vitesse les armées allemandes afin de briser cette offensive d’été que Hitler a annoncée.

L’armée allemande, estime Staline, sort exsangue, épuisée par les combats de l’hiver. Il faut la frapper avant qu’elle reconstitue ses forces.


Les divisions « sibériennes » sont lancées à l’assaut sur le Volkhov, un fleuve qui, franchi, permettrait de desserrer l’étau allemand qui enferme Leningrad.

Le général Vlassov qui les commande réussit la percée, mais très vite il est attaqué sur les flancs par des forces allemandes vigoureuses, combatives.

Il demande l’autorisation de reculer. Refus. Ordre de poursuivre l’offensive.

Mais après cinq jours de combats acharnés, les Allemands l’ont encerclé et commencent à anéantir les divisions russes.

Vlassov est désespéré, révolté. Il refuse de quitter la poche grâce à l’avion qu’on lui a envoyé. Il sera fait prisonnier avec tout son état-major.

C’était l’un des généraux russes les plus énergiques. Devant les Allemands qui l’interrogent, il qualifie Staline de « despote incapable ».


La « deuxième offensive Staline » du printemps 1942 vise à libérer la presqu’île de Kertch en Crimée, à rompre l’encerclement de Sébastopol.

D’abord elle remporte des succès. Les Allemands sont chassés de Kertch.

Et les Russes découvrent, sommairement enfouis dans des fossés, des milliers de Juifs assassinés par les Einsatzgruppen de Himmler. Mais comment le Feldmarschall von Manstein et les soldats de la XIe armée allemande auraient-ils pu ignorer ce crime de masse ?


Manstein reçoit des renforts – panzers, unités de grenadiers, appui de la VIIIe armée aérienne de Richthofen.

Il contre-attaque, le 8 mai 1942, et reconquiert le terrain perdu. Les Russes sont contraints d’évacuer la presqu’île de Kertch et les Allemands s’emparent de tout le matériel militaire qu’ils vont utiliser contre les défenseurs de Sébastopol.

Désastre militaire. Des dizaines de milliers de morts, au moins 100 000 prisonniers !

Staline destitue des dizaines d’officiers, le général commandant le groupe d’armées, et même le commissaire politique en chef, Mekhlis, qui dans les années 1937-1938 avait organisé les « purges » et les « procès » de milliers d’officiers. Au nom de Staline. Mekhlis était haï par les rescapés de cette hécatombe.

Mais les jeunes généraux savent que la responsabilité des purges et de l’échec de l’offensive incombe à Staline.

Et Sébastopol, après les succès de von Manstein, est condamnée. Elle est l’un des symboles de la grandeur de la Russie.


La Wehrmacht est donc, contrairement aux informations et aux espérances des Russes, encore puissante, plus efficace que l’armée Rouge.

Mais Staline refuse, même après la chute de Kertch le 16 mai, de modifier ses plans. L’offensive encore et toujours.


Le maréchal Timochenko, dans un ordre du jour du 12 mai – le désastre de Crimée est déjà manifeste, comme celui du général Vlassov dans la région de Leningrad –, déclare, appliquant les consignes de Staline :

« J’ordonne aux troupes de commencer l’offensive décisive. »

Elle doit encercler Kharkov, puis libérer la ville. Mais après quelques jours, la contre-attaque allemande se déploie, implacable.


Membre du Comité de guerre pour le front de Kharkov, Nikita Khrouchtchev essaie d’obtenir de Staline la possibilité de « changer nos plans opérationnels ».

Khrouchtchev raconte :

« Contre tout bon sens, Staline rejette notre proposition et ordonne que l’opération contre Kharkov soit poursuivie, et pourtant plusieurs unités de notre armée sont déjà menacées d’encerclement et d’extermination.

« Je téléphone au chef d’état-major – Vassilevsky – et je le supplie d’expliquer la situation au camarade Staline. Mais Vassilevsky répond que le camarade Staline ne veut plus en entendre davantage. Alors je téléphone à Staline à sa villa. Malenkov répond. Je dis vouloir parler personnellement à Staline. Et Staline me fait dire que je peux en parler à Malenkov. Une fois encore je réclame Staline lui-même. Il continue à dire “non” alors qu’il se trouve à quelques pas seulement du téléphone. Après avoir “écouté” de la sorte notre requête, Staline déclare : “Laisse les choses comme elles sont.” »


En ce printemps de l’été 1942, l’offensive russe vers Kharkov est un nouveau désastre sanglant.

Combien de morts ? Qui peut croire aux chiffres avancés par l’état-major russe, 5 000 morts, 70 000 disparus et… 300 chars détruits ?


Puis tombe le rideau noir de la censure.

Mais chaque Russe imagine ce qui en est : des dizaines de milliers de morts ! Auxquels les Allemands ajoutent 240 000 prisonniers. Et 1 200 chars hors de combat.

Où trouver, après ces hécatombes, du nord au sud du front, de Leningrad à la Crimée, les réserves, le matériel pour résister à l’offensive d’été que prépare Hitler ?


Le Führer rayonnant pérore dans sa tanière du loup.

« Les Russes sont finis », répète-t-il.

Il a eu raison d’imposer à ses généraux de résister sur place durant l’hiver.

Qui oserait contester maintenant, après ce printemps victorieux, qu’il est l’homme du destin, le visionnaire, qui a eu raison en mai 1940, en juin 1941 et maintenant en avril-mai 1942 ?

L’été va venir, il sera éclatant !


Ces jours-là, du printemps 1942, le correspondant de guerre russe Vassili Grossman publie son premier roman dans L’Étoile rouge, le journal de l’armée.

Composé à partir de ce qu’il a vécu, en première ligne, c’est un hommage à l’héroïsme, aux sacrifices, au patriotisme du soldat russe.

Grossman a intitulé son roman : Le peuple est immortel.

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