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Les nouvelles du front de l’Est, le général Erwin Rommel qui commande l’Afrikakorps les écoute chaque jour, le plus souvent dans le command-car qui lui sert de quartier général mobile.

Il parcourt le front qui serpente de la Méditerranée au désert de Cyrénaïque.


« Je circule du matin au soir pour m’assurer que tout est en ordre parmi les troupes. C’est très nécessaire », écrit-il à sa femme, sa « très chère Lu ».

Souvent il fait arrêter le command-car.

Les commentaires du haut état-major sur les exploits des troupes engagées en Russie que diffuse la radio, et le silence sur les combats de l’Afrikakorps l’irritent.

Il se calme en marchant le long de la piste qui se déroule entre les dunes du désert de Cyrénaïque.


Il vient d’effectuer – dans les derniers jours de décembre 1941, et les premiers jours de janvier 1942 – une retraite difficile, réussissant à échapper à des forces britanniques disposant d’hommes, de tanks, d’artillerie et d’un soutien aérien incomparablement plus nombreux, plus puissants que ceux de l’Afrikakorps.

Qui parle de cet exploit ?


« Quand on pense que nous avons ramené nos forces de 500 kilomètres en arrière sur une bonne position, sans souffrir de trop graves dommages, et bien que la majeure partie ne soit pas motorisée, écrit Rommel. Je ne suis pas surpris que nos généraux “sans emploi” ronchonnent, la critique est facile. »


Il y a plus grave, explique Rommel.

« Le haut commandement allemand sous l’autorité duquel je me trouve placé persévère à ne pas reconnaître l’importance du théâtre d’opérations africain. On ne comprend pas qu’avec relativement peu de moyens, on peut remporter dans le Proche-Orient des victoires qui, du point de vue économique et stratégique, comptent beaucoup plus que la prise de la boucle du Don.

« Mais l’Afrique reste une “cause perdue” et l’acheminement à destination de ce théâtre d’opérations de quantités importantes de matériel ou d’effectifs nombreux n’est pas regardé comme “rentable”.

« Vue de myope, tragiquement erronée ! »


Pourtant, Rommel ne met pas en cause Hitler. Au contraire.

« Le Führer semble approuver tout ce que j’ai fait et a été plein de louanges et d’admiration », dit-il.

Rommel ne renonce donc pas à agir. Ignorant les résistances, les ordres, il veut lancer une contre-offensive, reprendre le terrain perdu, s’emparer de Benghazi et de Tobrouk. Il rêve même au Caire, au Nil, l’artère vitale de l’Empire britannique. Il est euphorique, sûr de lui, comme si ce soleil déjà chaud à midi, « comme par une belle journée de printemps chez nous », était un signe de la Providence.


« J’ai, écrit-il, la foi la plus complète que Dieu étend sur nous Sa main protectrice et qu’il nous accordera la victoire. »


Mais il ne confie pas ses projets.

« On me croirait fou, écrit-il à sa femme. Je ne le suis pas, je vois simplement un peu plus loin qu’eux. Mais vous me connaissez. Je combine mes plans au début de chaque matinée et combien de fois l’an dernier, en 1941, et en France en 1940, ont-ils été mis à exécution en l’espace de quelques heures ! C’est ainsi que cela doit être et que ce sera à l’avenir… »


Il lance sa contre-attaque le 21 janvier 1942.

« Après avoir soigneusement pesé le pour et le contre, j’ai décidé de courir le risque. »

Il est d’autant plus déterminé qu’un convoi de cinq cargos a réussi à traverser la Méditerranée sans subir les attaques de la Royal Air Force et de la Royal Navy.

« Cela vaut une victoire ! » s’exclame Rommel.

Des navires, on décharge 55 chars et 20 autos blindées.

L’Afrikakorps va pouvoir aligner 111 chars en première ligne, 28 à l’arrière, et de leur côté les Italiens disposent de 89 chars.



Rommel sait bien que, comparée aux centaines de chars et aux centaines de milliers d’hommes qui s’affrontent sur le front russe, « sa » guerre apparaît comme le jeu fair-play de combattants chevaleresques.

D’ailleurs Rommel rend hommage aux Britanniques :

« Je serais fier de commander de tels soldats », dit-il en voyant passer un groupe de prisonniers.

Et les Anglais écrivent sur la porte d’une maison qu’ils occupaient à Benghazi – la ville est reconquise par Rommel : « Gardez-la propre, nous reviendrons bientôt. »


Rommel méprise davantage ses « alliés » italiens, et même certains généraux du haut commandement allemand, que ses adversaires !

« J’ai gardé le secret sur l’attaque du groupe blindé, dit-il.

« Je n’en ai parlé au préalable ni aux Italiens ni au haut commandement allemand. Nous savons par expérience que le quartier général italien ne sait rien garder pour lui et que tout ce qu’il télégraphie à Rome parvient aux oreilles anglaises. »


C’est ainsi une guerre « singulière » que se livrent, en ce premier mois de 1942, l’armée britannique et l’Afrikakorps.

Dans ce désert vide d’hommes, à l’exception de quelques tribus de nomades, dans l’immensité de la Cyrénaïque, ce sont des allers et retours de quelques centaines de chars.

Et une fois Benghazi repris aux Anglais, Rommel continue sa course vers le Nil.

« Nos adversaires se sauvent comme s’ils avaient été piqués par la tarentule », dit-il.

« Avec nos douze pièces antichars, nous bondissons d’une position de tir à une autre pendant que nos panzers, à l’arrêt et dissimulés jusqu’à la tourelle si possible, nous couvrent de leur feu, explique un officier de l’état-major de Rommel. Puis nous nous installons de manière à pouvoir les couvrir à notre tour tandis qu’ils avancent de nouveau. Cette tactique est efficace et malgré l’intensité de leur tir, les chars ennemis ne peuvent pas contenir notre progression. Ils subissent des pertes constantes et doivent sans cesse céder du terrain. »


Guerre « propre » si on la compare à l’acharnement sauvage des combattants – Russes et Allemands – du front de l’Est ?


Ici un officier allemand note, après avoir insisté sur les qualités du canon de 88 mm employé par l’Afrikakorps aussi bien contre les chars que contre les avions :

« Ce canon, me disent des prisonniers britanniques, est une arme déloyale contre les chars ! »

Ce mot, s’il était connu, ferait ricaner de mépris les soldats de l’Est, qui souvent se battent au corps à corps, achèvent les blessés, laissent crever de faim les prisonniers russes.

Et les complices détournent la tête quand les Einsatzgruppen de Himmler massacrent des dizaines de milliers de Juifs.


L’Afrikakorps n’extermine pas les populations clairsemées qui nomadisent dans le désert.

Il n’abat pas les prisonniers britanniques.


Il avance de plusieurs centaines de kilomètres et au printemps de 1942, il a besoin de reprendre son souffle, de réviser son matériel. Il s’arrête. Le paysage a changé.


« Tout est vert maintenant en Cyrénaïque, écrit Rommel, même des endroits habituellement désertiques disparaissent sous un tapis verdoyant. Il fait délicieusement chaud au niveau de la mer bien qu’il y ait aussi beaucoup de vent.

« À 750 mètres d’altitude, là où nous nous trouvons, il fait maintenant froid. Mais l’aube prend une beauté fantastique dans ce pays de montagnes aux sommets plats… »


Les généraux allemands et italiens – Kesselring, Cavallero, Bastico, l’amiral Weichhold – lui rendent visite.

On le sermonne, on lui intime la prudence. Il n’aura pas de renforts. La grande partie va se jouer sur le front de l’Est dans l’été 1942. Le Führer a conçu de vastes offensives qui détruiront les Russes. Et l’Angleterre capitulera.

Rommel écoute. Mais il forge ses plans pour une nouvelle offensive, à compter du mois de mai 1942. Il se sent porté par le destin, protégé par Dieu.

« Un éclat d’obus est entré tout dernièrement par la fenêtre, écrit-il. Il est venu terminer sa course contre mon estomac après avoir traversé mon manteau et ma veste. Il ne m’a laissé qu’une contusion multicolore, de la grandeur d’une assiette. C’est mon pantalon qui l’a finalement arrêté. Une chance du diable ! »


Le général italien Bastico vient lui remettre une nouvelle décoration italienne.

« Je ne peux pas dire que j’en éprouve une joie délirante. J’aimerais mieux un peu plus de soldats ! »


Le 12 mai 1942, il écrit à sa femme :

« De la chaleur et une quantité de poussière…

« Une certaine animation se manifeste sur notre front. Les Anglais nous attendent et nous les attendons. Les deux armées vont un jour prochain mesurer leur force.

« Vous ne tarderez pas à en entendre parler par les journaux.

« Nous espérons tous que nous pourrons provoquer la fin de la guerre cette année.

« Cela va faire bientôt trois années entières… »

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