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Bir Hakeim n’est investi que le 10 juin, mais dans la nuit Kœnig et la plupart des hommes valides réussissent à quitter le camp retranché, à rejoindre les lignes anglaises. Mission accomplie : la résistance du point d’appui de Bir Hakeim a duré plus de quinze jours.
Le général anglais Norrie adresse ses « félicitations à la 1re brigade des Forces Françaises Libres pour son magnifique succès, sa résistance opiniâtre, son action offensive et ses patrouilles. Merci de grand cœur ».
Dans la matinée du 11 juin, Rommel visite Bir Hakeim.
« Nous avions attendu sa chute avec impatience. Cinq cents Français, la plupart blessés, tombèrent entre nos mains… »
Le 15 juin, il écrit à son épouse :
« La bataille est gagnée et l’ennemi s’effondre. Nous liquidons maintenant les restes encerclés de son armée. Je n’ai pas besoin de vous dire ma joie… Ma santé s’est maintenue excellente. J’ai vécu dans ma voiture pendant des jours entiers et, le soir, je n’avais pas le temps de quitter le champ de bataille. Peut-être nous reverrons-nous en juillet. »
Durant toute la durée de la bataille, de Gaulle a voulu être informé, heure après heure.
Il ne quitte plus son bureau de Carlton Gardens. Il sait qu’à Bir Hakeim, dans ce polygone de 16 kilomètres carrés, « un paysage lunaire où campe une troupe de nomades », se joue un épisode décisif.
« Dans les entreprises où l’on risque tout, écrit-il, un moment arrive d’ordinaire où celui qui mène la partie sent que le destin se fixe. »
La presse anglaise accorde de plus en plus de place aux combats de Bir Hakeim.
« L’opinion s’apprête à juger. Il s’agit de savoir si la gloire peut encore aimer nos soldats », murmure de Gaulle.
Lorsque, le 10 juin 1942, à 17 h 30, de Gaulle rencontre Churchill, celui-ci s’avance, souriant.
« Je vous félicite pour la magnifique conduite des troupes françaises de Bir Hakeim, c’est l’un des plus beaux faits d’armes de cette guerre », dit le Premier ministre.
À la fin de l’après-midi du 11 juin, de Gaulle reçoit un message de l’état-major britannique : « Le général Kœnig et une partie de ses troupes sont parvenus à El-Gobi hors de l’atteinte de l’ennemi. »
Les FFL, après avoir assumé leur mission, bien au-delà de ce qu’on espérait d’eux, ont donc brisé l’encerclement, échappé à la destruction ou à la reddition.
De Gaulle, qui attendait dans son bureau en compagnie de Maurice Schumann, le porte-parole de la France Libre, reconduit Schumann, puis s’enferme.
« Je suis seul. Cœur battant d’émotion, sanglots d’orgueil, larmes de joie. »
Ce même 11 juin 1942, Rommel visite ce qu’il appelle « la forteresse de Bir Hakeim ».
« J’avais attendu sa chute avec impatience », dit-il.
Il passe parmi les « cinq cents Français tombés » entre les mains des Allemands de la XCe division légère.
La plupart sont blessés. Aucun d’eux ne baisse les yeux. Ils se sont battus avec détermination, et ils se sont accrochés aux 1 200 emplacements de combat qu’ils avaient aménagés.
« Une fois de plus, écrit Rommel, la preuve est faite qu’un chef décidé à ne pas jeter le fusil après la mire, à la première occasion, peut réaliser des miracles même si la situation est apparemment désespérée. »
Mais Rommel ne s’attarde pas. Il vient de s’emparer du point d’appui de Bir Hakeim. Il doit, à l’autre extrémité de la ligne de défense anglaise, conquérir le port de Tobrouk.
Une action rapide s’impose.
Il roule donc vers la forteresse anglaise assiégée.
Les traces de la défaite britannique sont partout visibles sur la route et sur les bas-côtés. D’énormes quantités de matériel ont été abandonnées par les Anglais. Des véhicules incendiés, des carcasses vides et noircies par les flammes jalonnent le désert.
Rommel fait arrêter son command-car.
Il marche le long de ces colonnes entières de véhicules tout-terrain intacts laissés par les Anglais. Les Allemands s’affairent à les remettre en route. Bras croisés, Rommel les observe, répond à leur salut.
« J’estime quant à moi, explique-t-il, que les obligations du commandant en chef ne sont pas limitées au travail qu’il accomplit dans son état-major. Il doit se montrer fréquemment sur le front pour s’assurer personnellement, en détail, de l’exécution de ses ordres… Le commandant en chef doit être l’élément moteur de la bataille et il faut que chacun se sache constamment soumis à son contrôle… Le chef doit garder un contact étroit avec sa troupe. Il doit sentir et penser comme elle. La confiance est à ce prix. »
Mais cette volonté de Rommel de se trouver au plus près des combattants comporte des risques.
Lorsque Rommel constate que la division italienne Ariete a perdu le contact avec les unités de l’Afrikakorps, il part à sa recherche.
« Mais je me trouvai bientôt pris dans un combat de chars. Les obus sifflaient de toutes parts et je fus heureux de pouvoir fuir ce séjour guère enviable ! »
Il s’éloigne, mais « lorsque je revins à mon poste de combat, une batterie britannique me prit pour cible.
« Finalement, en ayant assez, je transférai mon poste de commandement dans le fortin d’El-Hatian qui avait hébergé l’état-major du 30e corps d’armée britannique. »
De ce lieu, il conduira l’attaque contre Tobrouk, défendu par des unités anglaises, indiennes, sud-africaines.
À la jumelle, il regarde les fortifications de ce port assiégé depuis des mois et qui résiste : « Certains secteurs de la ceinture extérieure de fortifications étaient littéralement arrosés de sang : chaque mètre carré avait fait l’enjeu de combats acharnés… »
Le 20 juin 1942, Rommel écrit à sa « très chère Lu ».
« Deux heures de sommeil seulement la nuit dernière. C’est vraiment la journée décisive. J’espère que ma chance tient. Très fatigué. Autrement, tout va bien. »
Avant l’aube, plusieurs centaines de bombardiers de la Luftwaffe pilonnent l’endroit choisi pour l’assaut, dans le secteur sud-est de la forteresse.
« J’observai personnellement, écrit Rommel, les effets considérables de cette attaque. D’immenses colonnes de poussière s’élevaient au-dessus des retranchements occupés par les Indiens et les expulsions projetaient dans les airs les obstacles et les armes. »
Puis c’est l’assaut, les combats sont acharnés.
« À 5 heures, le 21 juin 1942, j’entrai dans la ville de Tobrouk. Elle offrait un spectacle lugubre. À peu près toutes les maisons étaient rasées ou ne formaient qu’un monceau de gravats… »
À 9 h 40, Rommel reçoit la capitulation de la forteresse de Tobrouk, des mains du général Klopper, commandant la forteresse et la 2e division sud-africaine.
L’entretien est courtois.
« Je chargeai le général sud-africain de faire régner l’ordre parmi les prisonniers et d’assurer leur substance sur les stocks capturés. »
Cette guerre-là, aucun de ceux qui la mènent ne conçoit d’appliquer la barbarie qui accompagne les combats sur le front de l’Est : blessés achevés, prisonniers abattus, laissés sans nourriture, civils massacrés, centaines de milliers de Juifs assassinés, leurs corps s’entassant dans des fosses communes.
Ces faits, les hommes de l’Afrikakorps et le général Rommel ne veulent pas les connaître, mais ils imaginent – parfois un officier arrivé de l’Est révèle un détail qui permet de reconstituer l’ensemble – les conditions des combats, et la manière dont la Wehrmacht les livre face aux Russes.
L’Afrikakorps mène sa guerre.
« Très chère Lu, écrit Rommel le 21 juin 1942.
« Tobrouk ! Ce fut une bataille merveilleuse. Grande activité dans le secteur de la forteresse. Il me faut prendre quelques heures de sommeil après tous ces événements. Combien je pense à vous ! »
« Pour tous mes “Africains”, confie Rommel, le 21 juin 1942, la prise de Tobrouk est le point culminant de la campagne en Afrique du Nord. »
Ce 21 juin, Rommel leur adresse un ordre du jour.
La Marmarique, cette portion du désert de Cyrénaïque qui longe la frontière avec l’Égypte et la côte méditerranéenne, est entre les mains allemandes.
« Soldats !
« La grande bataille de Marmarique a eu pour conséquence votre rapide conquête de Tobrouk. Nous avons fait au total 45 000 prisonniers et détruit ou capturé plus de 1 000 véhicules blindés et environ 400 pièces d’artillerie. Au cours de l’âpre lutte des quatre dernières semaines, votre vaillance et votre endurance nous ont permis d’assener de terribles coups à l’adversaire. Grâce à vous, l’ennemi a perdu le noyau de son armée qui s’apprêtait à passer à l’offensive… Pour ce magnifique exploit, j’adresse aux officiers et aux soldats l’expression de ma reconnaissance particulière.
« Soldats de l’armée blindée d’Afrique, il s’agit maintenant d’anéantir l’adversaire. Nous ne nous arrêterons pas avant d’avoir écrasé les dernières unités de la 8e armée britannique. Au cours des prochains jours, je vous demanderai un grand effort final.
« Rommel. »
Le lendemain, 22 juin 1942, Rommel reçut un message radio du quartier général du Führer. À quarante-neuf ans, il était promu Feldmarschall en récompense de sa victoire.
Au dîner, il célébra cette promotion avec ses officiers.
Puis, resté seul, il écrivit à sa « très chère Lu » :
« Hitler m’a nommé Feldmarschall, j’aurais mieux aimé recevoir une nouvelle division. »