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Le V de Vaincre, le V de Victoire, en cette fin de l’année 1942, des mains anonymes le tracent sur les murs des villes occupées par les Allemands.
Les soldats de la 8e armée britannique, celle de Montgomery, le dessinent avec leurs doigts levés.
Les Marines américains qui se battent contre les Japonais dans l’île de Guadalcanal le forment aussi.
Et les soldats américains débarqués sur les côtes marocaines et algériennes les imitent quand, enfin, les Français aux ordres de l’amiral Darlan cessent de les combattre, un armistice ayant été signé entre autorités françaises et américaines.
Roosevelt a approuvé le décret par lequel, le 4 décembre 1942, l’amiral Darlan déclare assumer les fonctions de chef de l’État en Afrique du Nord ; et de commandant en chef des Forces militaires navales et aériennes avec l’assistance d’un Conseil impérial où trône le général Giraud.
Darlan et ce Conseil impérial laissent en place, dans toute l’Afrique du Nord, la législation antisémite – et antimaçonnique – de Vichy ! De Gaulle proteste.
Mais à Londres, on le bâillonne à nouveau ! La BBC lui est interdite.
Ainsi, le V de Vaincre et le V de Victoire, en ces mois de novembre et de décembre 1942, ne sont pas encore tracés d’une main ferme.
C’est comme si le fléau de la balance hésitait à pencher nettement du côté de la victoire des Alliés, s’il laissait de l’espoir aux puissances de l’Axe.
Les Allemands « tiennent » encore toute l’Europe sous leur joug. Ils traquent les résistants. Ils exterminent les Juifs.
Les troupes de l’Axe ont abandonné la Cyrénaïque et la Libye, mais Allemands et Italiens ont occupé la Tunisie et s’y retranchent.
Les Américains sont à Casablanca et à Alger, mais ils ont dû accepter d’y reconnaître le pouvoir des vichystes.
Seuls de Gaulle et les forces de la Résistance française protestent avec le sentiment d’avoir été trahis.
Roosevelt, maître d’œuvre de cette politique, se félicite de son succès. Churchill approuve et Staline comprend, en cynique et en réaliste, se souvenant qu’il avait signé en août 1939 un pacte de non-agression avec Hitler.
Le 27 novembre 1942, Staline écrit à Churchill :
« Quant à Darlan, je pense que les Américains ont fait de lui un habile usage afin de faciliter l’occupation de l’Afrique septentrionale et occidentale.
« La diplomatie militaire doit savoir utiliser pour ses buts de guerre non seulement les Darlan, mais encore le diable et la grand-mère du diable. »
Est-ce donc bien la « fin du commencement » ?
Les Japonais s’accrochent à l’île de Guadalcanal et, après les victoires navales de la mer de Corail et de Midway (printemps 1942), les Américains connaissent des revers dans les îles Salomon.
Dans la « bataille de l’Atlantique », les meutes de U-Boot obtiennent dans les eaux glacées des mois de l’automne et de l’hiver 1942-1943 de tels succès contre les convois alliés qu’il semble que les sous-marins allemands vont l’emporter.
De Gaulle, dès le 11 novembre 1942, a analysé cette situation encore incertaine – militairement, politiquement.
« Pour affaibli qu’il soit, l’ennemi demeure, puissant, habile, résolu, a-t-il dit. Pour renforcés que nous soyons, nous portons encore en nous-mêmes bien des éléments de faiblesse ! Après tant de revers subis, les démocraties ont pu, certes, savourer leurs premiers succès. Mais il leur reste à briser la plupart des positions matérielles et morales à l’abri desquelles l’adversaire domine une grande partie du monde.
« Il leur reste à imposer leur force afin de dicter leur loi. Il leur reste à gagner la guerre. »
Hitler, Staline, Churchill, Roosevelt, de Gaulle savent, comme les peuples, qu’en ces mois de novembre et décembre 1942, le sort de la guerre se joue sur les rives du Don et de la Volga, à Stalingrad.