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Stalingrad, en cette mi-novembre 1942, est un champ de ruines.


La VIe armée du général Paulus a réussi à avancer jusqu’à moins de 300 mètres de la rive droite de la Volga.

La Rattenkrieg, la « guerre de rats », se poursuit, impitoyable.

Les fantassins se terrent dans les caves, les égouts. Ils creusent sapes et tunnels.

La bataille de Stalingrad est ainsi faite d’une série de « guerres locales ».


Dans tous les quartiers de la ville, des centaines d’hommes s’entretuent pour le contrôle de quelques pans de mur.

Les Allemands font intervenir en appui deux ou trois panzers que les Russes laissent passer, puis ouvrent le feu avec leurs canons antichars. Tout le secteur s’embrase. Les « snipers » guettent, abattent les hommes qui tentent de passer d’un tunnel, d’un trou à l’autre.


Le général Paulus, le 11 novembre, lance une offensive dont il espère qu’elle liquidera les noyaux de résistance russes.

Quelques groupes d’Allemands, ici et là, atteignent la rive de la Volga, mais ils sont vite isolés par les contre-attaques russes.

Ces combats féroces se poursuivent durant quatre jours entre des hommes soûls d’alcool et de benzédrine.

On ne fait plus de prisonniers, on tue – on égorge, on éventre – à l’arme blanche.

Puis c’est l’accalmie.

L’offensive Paulus a échoué.

Dans le « chaudron de Stalingrad », cet enfer pantelant, on ramasse les blessés, on se terre à nouveau.


On attend.

Le général de la Luftwaffe Richthofen fait une reconnaissance aérienne.

Il survole la boucle du Don, repère les sapeurs de la Wehrmacht en train de miner le dernier pont, celui de Kalatch, par où passent renforts et approvisionnements à destination de la VIe armée, celle de Paulus, enterrée dans le chaudron de Stalingrad.

Au nord du chaudron comme au sud, il identifie les troupes roumaines et italiennes qui protègent les flancs du chaudron.

Il suffirait que ces troupes cèdent pour que Paulus et ses hommes soient encerclés.

Richthofen survole les positions russes, de part et d’autre du chaudron, sur la rive gauche de la Volga.

« Les réserves russes sont maintenant en place, note-t-il. Quand, je me le demande, l’attaque se déclenchera-t-elle ? Il semble que les Russes soient actuellement à court de munitions, à moins qu’ils ne tirent pas afin de ne pas être repérés, car les pièces commencent à apparaître sur les emplacements d’artillerie. Espérons que les Russes ne feront quand même pas trop de dégâts dans nos lignes… »


Richthofen n’imagine pas que les Russes ont concentré 500 000 hommes, 900 chars T34 neufs, 230 régiments d’artillerie de campagne, et 115 régiments de Katioucha, sur un front d’attaque de 65 kilomètres, au sud et au nord du chaudron.

Jamais, depuis le début de l’invasion de la Russie, en juin 1941, on n’a connu une telle densité d’hommes et une telle puissance de feu.


Ce 12 novembre 1942, quand Richthofen survole le chaudron, il constate comme à l’habitude que :

« Les rues et les places, ces champs de ruines, sont désertes. Car on ne peut agir à ciel ouvert. Celui qui montre sa tête ou traverse une rue en courant est automatiquement abattu par un sniper embusqué. »

Mais entre 6 et 7 heures du matin, on n’entend même pas de détonations.

Stalingrad est enveloppée dans un linceul de silence, comme si elle n’était plus peuplée que par des cadavres ou des morts en sursis qui s’enfoncent au plus profond de ces ruines pour tenter d’échapper au moment où ils seront frappés.

Et chaque jour, en ce mois de novembre 1942, commence ainsi : par le silence et le vide de la mort à laquelle on sait ne pouvoir échapper.


Et tout à coup, le 19 novembre 1942, les soldats russes terrés entendent un grondement lointain mais intense.

Ils reconnaissent le son des canons russes, ces 2 000 pièces d’artillerie du général Voronov, puis les rafales aiguës des Katioucha.

Cela vient du nord et du sud.

Ces hommes se redressent, s’approchent prudemment des sorties de leurs égouts, de leurs caves, de leurs tunnels.

Le jour commence seulement à se lever.

Mais – ils en sont sûrs – il sera différent des autres.

C’est l’offensive qui va enfermer les Allemands de Paulus dans le chaudron, les affamer, les étrangler, les étouffer.

Les combattants de Stalingrad ne seront plus les seuls à contenir l’Allemand. On va le « ceinturer ».

Il était temps, car la Volga, ce 19 novembre et plus encore le lendemain, commence à charrier des glaçons. Elle n’est plus navigable et les combattants de Stalingrad sont isolés, jusqu’à ce que la Volga soit gelée, mais ce ne sera pas avant un mois. Alors les offensives au sud et au nord du chaudron, comme deux pinces qui vont à la rencontre l’une de l’autre, représentent le salut.


Hourra !

On n’ose libérer sa voix, mais elle rugit dans la poitrine de chaque combattant de Stalingrad.


Il suffit de quatre jours et demi pour que l’encerclement des Allemands à Stalingrad soit réalisé.

Les divisions roumaines et italiennes situées sur les flancs du chaudron, faiblement armées, sans chars ni artillerie, sans ardeur ni résolution combattantes, sont disloquées par les Russes. Ils avancent d’une centaine de kilomètres, enfoncent le front sur une longueur de 80 kilomètres au nord et de 50 au sud !


Les troupes des généraux Vatoutine et Yeremenko se rencontrent le 23 novembre, vers 16 h 30, à Kalatch.

Les sapeurs de la Wehrmacht sont prêts à faire sauter ce dernier pont sur le Don.

Ils voient s’avancer des véhicules allemands, portant les signes distinctifs de la 22e Panzer.

Ils s’écartent, lèvent les barrières qui interdisent la circulation sur le pont. Et des Russes surgissent des véhicules et s’emparent du pont, tuant la plupart des sapeurs allemands.

Kalatch devient ainsi le premier chaînon de Vanneau qui doit étrangler les 250 000 soldats de la VIe armée de Paulus.


Le correspondant de l’United Press à Moscou, Henry Shapiro, se rend, dans les jours qui suivent la « fermeture » de l’anneau, sur le front de Stalingrad. Il écrit :

« La voie ferroviaire la plus proche du front avait été violemment bombardée par les Allemands ; toutes les gares étaient détruites, et les chefs militaires ainsi que les techniciens des chemins de fer dirigeaient le trafic dans des abris souterrains ou dans des maisons en ruine. Tout le long de la ligne, c’était un flot ininterrompu et impressionnant de matériel de guerre : Katioucha, canons, chars, munitions, hommes. Les convois roulaient de nuit et de jour, et il en allait de même sur les routes. On voyait peu de matériel anglais ou américain, sauf, de temps en temps, une Jeep ou un tank ; 90 % environ de tout ce matériel était soviétique. Toutefois, une forte proportion de vivres était américaine – surtout le lard et le sucre.


« Quand je me rendis à Serafimovitch, au nord, les Russes faisaient plus que de consolider l’“anneau” autour de Stalingrad… Ils en formaient un second ; on voyait bien sur la carte que les Allemands de Stalingrad étaient absolument pris au piège et qu’ils ne pourraient en sortir… Je m’aperçus que les soldats aussi bien que les officiers avaient une impression de confiance comme je n’en avais jamais vu encore dans l’armée Rouge. Durant la bataille de Moscou, il n’y avait rien eu de semblable.

« Loin en arrière de la ligne de combat, des milliers de Roumains erraient à travers la steppe, maudissant les Allemands, cherchant désespérément les dépôts de vivres russes, et cherchant surtout à se faire accueillir comme prisonniers de guerre. Quelques isolés se mirent même à la merci de paysans russes, qui les traitèrent avec charité pour cette simple raison qu’ils n’étaient point allemands. Ils voyaient dans ces Roumains de “simples paysans comme eux”.

« Si l’on excepte quelques petits groupes de la Garde de Fer des fascistes roumains qui, çà et là, se battirent durement, les soldats roumains en avaient assez de la guerre ; les prisonniers que je vis disaient tous la même chose : c’était la guerre de Hitler, et les Roumains n’avaient rien à faire sur le Don.


« Plus j’approchais de Stalingrad, plus le nombre des prisonniers allemands augmentait… La steppe offrait un tableau fantastique : elle était couverte de chevaux morts, parmi lesquels quelques bêtes agonisaient, debout sur trois jambes gelées, et agitaient la quatrième, cassée. C’était pathétique. Au cours de la percée russe, 10 000 chevaux avaient été tués. Toute la steppe était jonchée de ces cadavres, d’affûts de canons brisés, de chars et de pièces d’artillerie de toutes origines – allemands, français, tchécoslovaques, et même britanniques (sans doute pris à Dunkerque)… et à perte de vue il y avait des cadavres roumains et allemands. Les cadavres russes étaient enterrés les premiers. Les civils revenaient dans leurs villages, dont la plupart étaient quasiment détruits… Kalatch n’était que décombres. Il ne restait qu’une maison debout.


« Le général Chistiakov, dont je finis par trouver le quartier général dans un village au sud de Kalatch, me dit que quelques jours à peine plus tôt les Allemands auraient pu sans difficulté faire une percée et se sortir de Stalingrad, mais Hitler l’avait interdit. Ils avaient laissé passer leur chance. Le général avait la certitude que Stalingrad serait prise vers la fin de décembre.

« Les avions de transport allemands, continua Chistiakov, étaient abattus par douzaines, et les Allemands bloqués dans la “poche” de Stalingrad manquaient déjà de nourriture : ils mangeaient leurs chevaux.



« Les prisonniers allemands que je vis étaient surtout de jeunes gars, à l’air très misérable. Je ne vis aucun officier. Par trente degrés de froid, ils portaient des capotes ordinaires et des couvertures entourées autour du cou. Ils n’avaient aucune tenue spéciale d’hiver, tandis que les Russes étaient fort bien équipés de valenki, de peaux de mouton, de gants chauds, etc. Moralement, les Allemands étaient frappés de stupeur ; ils n’arrivaient pas à comprendre ce qui leur arrivait.


« Sur le chemin du retour, je vis le général Vatoutine dans une école ravagée de Serafimovitch.

« L’entrevue dura quelques minutes, à 4 heures du matin… Le général était horriblement fatigué ; il n’avait pour ainsi dire pas fermé l’œil depuis quinze jours. Il se frottait sans cesse les yeux. Il n’en paraissait pas moins plein d’énergie, de détermination, d’optimisme. Il me montra une carte sur laquelle était clairement indiqué le bond en avant des Russes dans la zone ouest du Don. J’eus l’impression que cette percée leur avait coûté beaucoup moins cher qu’aux Roumains et aux Allemands ; ils l’avaient bien préparée ! »


Le correspondant de l’United Press n’a pas vu les cadavres des Italiens.

Ils appartenaient à la VIIIe armée italienne envoyée par le Duce combattre aux côtés des « camarades allemands ».

Elle comptait 250 000 hommes équipés comme pour une marche dans un pays tempéré !

La plupart disparurent.

« Ils eurent pour tombeau les steppes du Don », commente un historien russe.

Khrouchtchev – successeur de Staline en 1956 –, responsable politique et militaire dans la bataille de Stalingrad, ajoute :

« La guerre est comme un feu. Il est facile de sauter dedans, il n’est pas facile d’en sortir, eh bien, les Italiens ont brûlé dans la guerre, voilà tout ! »


Les Russes avaient, en fait, lancé sur les troupes italiennes des centaines de milliers de tracts leur promettant que s’ils se rendaient, ils seraient envoyés vers un « climat chaud » et traités en « camarades ».

Des milliers d’entre eux se rendirent et furent enfermés dans des camps de la Russie septentrionale ou centrale où ils moururent de faim et de froid.


Les Allemands ne se font aucune illusion sur ce que les Russes leur réservent. Ils savent comment la Wehrmacht a traité les prisonniers russes. Ils se battent donc.

Ils espèrent que les panzers de von Manstein opéreront une percée qui « brisera l’anneau russe qui les enferme ».

Ils rêvent d’une attaque, qui rassemblerait tous les combattants de Stalingrad et les ferait aller à la rencontre des panzers de von Manstein.


Paulus et von Manstein hésitent. Ils savent quelle est la volonté du Führer : « vaincre ou mourir » ; si cela vaut pour la bataille d’El-Alamein, comment imaginer un destin différent pour l’affrontement symbolique de Stalingrad ?

On peut mourir à Stalingrad. On ne peut pas y capituler.


Cependant, von Manstein, le 12 décembre, lance ses divisions de panzers à l’offensive.

Elles avancent d’une quarantaine de kilomètres à partir du sud. Elles franchissent les rivières, l’Aksaï, la Myshkova, ces affluents du Don.

« Nous voyons déjà luire le ciel de Stalingrad », dit von Manstein.

Mais les Russes, marchant 50 kilomètres par jour dans les hurlements du blizzard, franchissent 180 kilomètres pour se porter au-devant des troupes de von Manstein.

Les Russes ne disposent pas de chars car les routes sont impraticables. Mais avec le seul appui de l’artillerie, les fantassins russes arrêtent les troupes de von Manstein.


« Le ciel de Stalingrad » s’assombrit pendant ces quatre jours décisifs – du 19 au 23 décembre 1942 –, Paulus ne tente aucune sortie pour aller à la rencontre de von Manstein, qui recule.

L’anneau se resserre autour des Allemands encerclés dans le chaudron.

Mais, en cette fin décembre 1942, ils se battent encore avec acharnement.

« Jusqu’à la fin décembre, écrit le général Tchouikov, ils vécurent d’espoir et ils opposèrent une résistance désespérée, souvent jusqu’à la dernière cartouche. Nous ne fîmes pratiquement pas de prisonniers car les nazis refusaient tout net de se rendre. Ce n’est qu’après l’échec de von Manstein que le moral des troupes allemandes commença fortement à baisser. »

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