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À des milliers de kilomètres de Stalingrad, dans les déserts de Cyrénaïque, de Libye, de Tripolitaine, le maréchal Rommel, après la défaite d’El-Alamein, tente de sauver son Afrikakorps, et donc le moral et la combativité de ses soldats.


L’Afrikakorps recule en bon ordre, manquant d’approvisionnements – de vivres, de munitions et d’essence, les fournitures indispensables chaque jour.

Et les « nuits de défaite » s’enchaînent les unes aux autres à compter de ce 4 novembre 1942.


Rommel, tout en combattant, est plein d’amertume.

« Nous venions de perdre la bataille décisive de la campagne d’Afrique, dit-il.

« Nous avions laissé dans la défaite une grande partie de notre infanterie et de nos formations motorisées. »

Il sait que cette « faillite » est due à l’ordre du Führer – « Vaincre ou mourir ! » –, à l’infériorité aérienne, à l’absence de ravitaillement.

Et il n’admet pas qu’on fasse porter la responsabilité de l’échec d’El-Alamein à ses hommes, à lui-même.


On l’accuse.

« On alla jusqu’à prétendre que nous avions jeté nos armes, que j’étais un défaitiste, un pessimiste. »

Il s’insurge. Il rejette les calomnies portées par les officiers de l’entourage du Führer, des hommes qui n’ont jamais été au front et qui s’en prennent à « ses vaillantes troupes ».

« En y réfléchissant bien, dit-il, je ne puis m’adresser qu’un reproche, celui de n’avoir tourné vingt-quatre heures plus tôt – ou tout simplement ignoré – l’ordre “Vaincre ou mourir !”.

« Selon toute vraisemblance, l’armée, l’infanterie comprise, aurait été sauvée avec une puissance combative entamée, mais nullement détruite. »


Il enrage, conteste les ordres du Duce. Car Mussolini ne veut pas qu’on abandonne la Libye, vieille colonie italienne. Comme si l’on pouvait, avec quelques milliers d’hommes et une vingtaine de canons antichars, résister au déferlement de centaines de blindés britanniques accompagnés de plusieurs divisions d’infanterie motorisées et appuyés par une artillerie et une aviation qui se comptent par milliers de canons et d’appareils.

« Le courage qui va à l’encontre des nécessités militaires est folie, dit Rommel. Un chef qui l’exige de ses troupes est un irresponsable. »


Le 10 novembre, il écrit à sa « très chère Lu » :

« Je n’avais pas eu la possibilité d’écrire depuis que l’ennemi a percé à El-Alamein… Les choses vont assez mal pour une armée qui a été rompue. Il lui faut s’ouvrir un chemin en combattant et perdre, ce faisant, ce qui lui reste de force. Nous ne pouvons continuer ainsi bien longtemps car nous avons à nos trousses un ennemi supérieur.

« Physiquement, je vais très bien. Quant au reste, je fais de mon mieux pour tenir jusqu’au bout. »


Il veut rencontrer les « maréchaux », Cavallero du Comando Supremo italien, et Kesselring, les convaincre qu’il faut reculer jusqu’en Tunisie et ne pas tenter d’arrêter un ennemi dont la supériorité est telle qu’il peut vous écraser d’un simple mouvement en avant.

« Aucun reproche ne peut être adressé à l’armée, répète Rommel, elle s’est battue magnifiquement. »


Il note, le 14 novembre, dans une lettre à son épouse :

« Nous marchons vers l’ouest de nouveau. Je me porte très bien, mais je n’ai pas besoin de vous dire ce qui se passe dans mon esprit. Il faut nous féliciter de chaque jour que l’ennemi nous laisse en ne serrant pas sur nous. Je ne saurais dire jusqu’où nous irons. Tout dépend de l’essence que l’on doit maintenant nous apporter par avions !

« Comment allez-vous tous les deux ? Ma pensée – malgré tous mes soucis – est bien souvent auprès de vous. Qu’adviendra-t-il de la guerre si nous sommes battus en Afrique du Nord ? Comment se terminera-t-elle ? Je voudrais bien pouvoir me débarrasser de ces terribles idées… »


« Encore un bon pas en arrière, écrit-il deux jours plus tard. Par surcroît, il pleut, ce qui rend nos mouvements encore plus difficiles.

« Pénurie d’essence ! Il y a de quoi pleurer. Espérons que les Anglais ont aussi mauvais temps que nous. »


Désespéré, Rommel ?

La fatigue, les tensions avec les maréchaux (Cavallero – qui représente le Duce –, Kesselring, commandant en chef), l’amertume le rongent.

Mais il se bat, il se reprend en main.

« Je vous ai écrit quelques lettres bien misérables, dit-il à sa femme. Je les regrette maintenant. »

Il suffit d’un combat favorable pour qu’il retrouve son ardeur, une bouffée d’optimisme.

« Il n’a cessé de pleuvoir, tant et plus, écrit-il, ce qui ne m’a pas rendu l’existence parfaitement confortable, d’autant plus que j’ai campé dans ma voiture.

« Mais aujourd’hui, j’ai de nouveau un toit au-dessus de ma tête et une table. C’est le grand luxe ! Je n’oserais pas aller jusqu’à espérer un retournement favorable de la situation mais il se produit pourtant parfois des miracles. »


Il réussit à obtenir qu’une réunion des « maréchaux » ait lieu à Arco dei Fileni, à la frontière entre la Cyrénaïque et la Tripolitaine. Aux côtés de Kesselring et Cavallero, il y a le maréchal italien Bastico, que le Duce et le Führer ont placé au-dessus de Rommel.

Réunion sans issue. Le Duce veut qu’on « tienne » et même qu’on passe à… l’offensive.

En somme, la reprise par Mussolini de l’ordre du Führer, « la victoire ou la mort ».

Rommel se rebelle.

« Je décidai de prendre le premier avion pour aller me présenter devant le Führer, dit-il. Je comptais lui demander personnellement une décision stratégique et lui faire accepter l’évacuation de l’Afrique comme politique à long terme. J’étais fermement décidé à lui exposer les vues de l’armée blindée sur les opérations d’Afrique et à les lui faire accepter. »


« Nous partîmes dans la matinée du 28 novembre et arrivâmes à Ratensburg à la fin de l’après-midi », raconte Rommel.

À 17 heures, il voit le Führer.

L’atmosphère de l’entretien est glaciale. Quand Rommel évoque la nécessité d’évacuer l’Afrique, « une telle décision stratégique agit à la manière d’une étincelle tombant dans un baril de poudre ». Le Führer hurle, dans un « véritable accès de rage et un flot de reproches »…

Rommel observe les officiers présents : tous approuvent servilement le Führer.

Que savent-ils de la réalité du front, ces hommes qui n’ont sans doute jamais entendu un coup de feu ?

Le Führer, d’une voix méprisante, rappelle qu’il a dû imposer pendant l’hiver 1941-1942 le Haltbefelh, ne plus reculer d’un pas. Et il a sauvé ainsi, contre ses généraux, le front en Russie.

Il en sera de même en Afrique, martèle Hitler. Rester en Afrique, en Tunisie, est une nécessité politique.

« Je commençai à comprendre, écrit Rommel, que Adolf Hitler ne voulait pas voir la situation telle qu’elle était, qu’il refusait pour des raisons émotives ce que son intelligence lui faisait entrevoir.

« Il ferait l’impossible, pour m’envoyer du matériel. Le maréchal du Reich Hermann Goering m’accompagnerait en Italie, il serait muni de pouvoirs extraordinaires pour négocier avec les Italiens. »


Rommel découvre Goering, dans son train spécial qui les conduit à Rome.

C’est un satrape qui, entouré d’une cour qui le flatte, se rengorge, parle bijoux et tableaux, calomnie Rommel auprès du Führer, l’accuse d’être dominé par ses émotions, de succomber à « la maladie africaine », la lâcheté… la couardise !

« À Rome, lors d’une rencontre avec Mussolini, j’entends le Reichsmarschall dire que Rommel a abandonné les Italiens devant El-Alamein !

« Avant que j’eusse pu protester contre cette monstruosité, Mussolini déclara : “C’est une nouveauté pour moi, votre retraite a été un véritable chef-d’œuvre, monsieur le maréchal Rommel.” »


Fugace consolation.

À la mi-décembre, alors que le déferlement de la puissance britannique se poursuit, inexorable, le Duce transmet un ordre d’avoir « à résister jusqu’au bout. Je dis résister jusqu’au bout avec toutes les forces de l’arme blindée germano-italienne ».

Mais où sont nos panzers ? interroge Rommel.

« Nous finirons par être écrasés sous l’immensité de la force ennemie. Quelle amère destinée pour mes soldats et pour moi-même d’en arriver là au terme de tant de combats héroïques et victorieux ! »


Et dans une lettre du 11 décembre à sa « très chère Lu », Rommel écrit :

« Je ne sais si vous pourriez trouver un dictionnaire anglais-allemand à m’envoyer par la poste. Il me serait bien utile. »

Pour interroger les officiers britanniques capturés ?

Ou pour répondre aux questions de Montgomery si Rommel est fait prisonnier ?


Il continue de reculer :

« Nous cantonnons dans des prairies couvertes de fleurs. Mais hélas nous battons en retraite et je n’entrevois aucune apparence d’amélioration. »


Rommel a, à la fin décembre 1942, la certitude que le destin des Allemands en Afrique est en passe d’être scellé… « Je n’ai pas le moindre doute sur son issue, les forces sont trop inégales. Le ravitaillement est presque tari. Il nous faut à présent nous rendre à l’inéluctable et souhaiter que Dieu veuille encore une fois soutenir notre cause. Je suis allé hier sur le front et j’y retourne aujourd’hui. »


C’est le 31 décembre 1942, écrit Rommel.

« L’avenir maintenant est entre les mains de Dieu.

« Demain une autre année commence. Nous continuerons la lutte aussi longtemps que cela sera possible… Je m’oblige à me dire que tout cela finira par s’arranger…


« Kesselring doit revenir aujourd’hui et il y a un petit espoir de voir la situation changer légèrement en notre faveur. Pas beaucoup encore, mais un petit rien… Peut-on, à vrai dire, attendre grand-chose de bien important ?

« J’ai eu à midi une entrevue avec Bastico, qui se considère de plus en plus comme le commandant en chef. Il y a des couleuvres qu’il faut bien savoir avaler. Après tout, cela signifie aussi qu’il endosse une partie des responsabilités… Je me fais beaucoup de souci pour ces violents combats qui se déroulent à l’est, à Stalingrad ! Espérons que nous en sortirons au mieux. Ici, l’armée a un moral excellent.

« Il est bien heureux que les hommes ne sachent pas tout. »



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