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Hitler a raison.

Les prophéties nationales-socialistes ne sont pas des phrases en l’air. Elles sont des corps martyrisés, pantelants. Elles ont la couleur du sang, l’odeur de la mort.


Lorsque Hermann Goering dans un discours au Sportpalast de Berlin déclare que la guerre est une « grande guerre des races » qui décidera « si les Allemands et les Aryens survivront ou si les Juifs domineront le monde », il faut savoir que des centaines de milliers de Juifs, en Pologne, en Ukraine, mais aussi en Hollande, en France, dans tous les États d’Europe, ont été exterminés.


Les prophéties nationales-socialistes ne sont pas des « phrases en l’air ».


Lorsque Goering ajoute que Churchill et Roosevelt sont « des drogués et des malades mentaux qui s’agitent au bout des ficelles des Juifs », il faut entendre les cris des femmes et des enfants qu’on enferme dans les wagons qui vont les transporter jusqu’à Auschwitz.

Il faut lire dans les carnets de Himmler cette note du 10 décembre 1942, rédigée après un entretien avec le Führer :

« Juifs en France – 600 000-700 000 – s’en débarrasser ? »

Et Himmler dit à ses subordonnés :

« Le Führer a donné ordre que les Juifs et tous les ennemis du Reich en France soient arrêtés et emmenés. »


Et dans l’ancienne zone libre, maintenant occupée, la police de Vichy, les gendarmes, les membres du Service d’ordre légionnaire organisent des rafles, des perquisitions, arrêtent, frappent, poussent dans les wagons.

Souvent, au moment des rafles, des portes s’entrouvrent, des mains se tendent pour accueillir les persécutés, les cacher.

Mais ceux qui sont entassés dans les wagons vont découvrir, au bout de ce voyage dans l’inimaginable, Auschwitz-Birkenau.


Là, dans cette plus grande usine de mort de l’Histoire, 1,5 million de personnes ont été tuées, par le gaz, les coups, l’épuisement, la malnutrition, une balle dans la nuque.



Le commandant d’Auschwitz, Rudolf Höss, est à la tête d’une véritable ville, qui est comme la préfiguration de la société nazie, avec sa zone résidentielle – pour les 2 000 SS et leurs familles –, son usine, son camp de travail, son camp d’extermination.

On enfourne dans les chambres à gaz des centaines de milliers de personnes « sélectionnées », Juifs d’abord, mais aussi tsiganes, prisonniers de guerre soviétiques.


« Mes fonctions m’obligeaient à assister à tout le déroulement de l’opération, raconte Rudolf Höss.

« Jour et nuit, je devais être là pendant qu’on s’occupait à extraire les cadavres, à les brûler, à leur arracher leurs dents en or, à leur couper les cheveux. Ces horreurs duraient des heures […]. Il m’incombait même d’observer la mort à travers les lucarnes de la chambre à gaz : c’étaient les médecins qui le désiraient. Je ne pouvais échapper à tout cela parce que j’étais celui vers lequel étaient tournés tous les regards. Je devais montrer à tous que je ne me contentais pas de donner des ordres et d’organiser les préparatifs, mais que j’assistais à toutes les phases des opérations, tout comme je l’exigeais de mes subordonnés. »


Tels sont les actes qui ne sont pas « paroles en l’air ».

Quand, le 14 décembre 1942, Goebbels dit :

« La race juive a préparé cette guerre, elle est l’instigatrice spirituelle de tout ce malheur qui s’est abattu sur ce monde… Le Führer l’a prophétisé, cela veut dire l’effacement de la race juive en Europe et, si possible, du monde entier », cela devient cette lettre d’un soldat de la Wehrmacht qui écrit en 1942 à sa famille :

« […] Je me suis arrêté pour déjeuner – non loin de Brest-Litovsk – 1 300 Juifs venaient d’être exécutés la veille.

« Ils avaient été conduits auprès d’une fosse, hors de la ville. Hommes, femmes et enfants durent se dévêtir entièrement et furent ensuite liquidés d’une balle dans la nuque. Les habits furent désinfectés et réutilisés.

« Je suis convaincu que si la guerre dure trop longtemps, les Juifs finiront en saucisses et seront servis à des prisonniers de guerre russes et à des ouvriers spécialisés juifs. »


De ce soldat, qui imagine tranquillement l’inimaginable, à Hitler, en passant par tous les hommes-rouages de la machinerie nazie (Himmler, Goering, Goebbels, Rudolf Höss… des dizaines de milliers d’autres), une chaîne se constitue, une « usine de mort » fonctionne.

Ses mécanismes sont connus.

Quand on interroge Martin Bormann :

— Comment sera résolue la question juive ?

Il répond :

— Tout simplement.

Et chacun comprend, admet l’extermination, la « solution finale ».


Ne s’étonne que celui qui est resté attaché à des valeurs morales.

Ainsi l’universitaire d’origine juive, mais converti au protestantisme, Victor Klemperer qui écrit, à la fin de 1942, dans sa ville de Dresde, après avoir entendu le Führer évoquer la juiverie internationale et son extermination :

« Toujours la même musique mais poussée à son paroxysme… Paroxysme des menaces contre l’Angleterre, contre les Juifs dans le monde entier qui voulaient anéantir les peuples aryens de l’Europe et que lui anéantit…

« Ce qui est épouvantable, ce n’est pas qu’un dément se déchaîne dans des crises de plus en plus forcenées, mais que l’Allemagne l’accepte, depuis déjà près de dix ans et après presque quatre ans de guerre, et qu’elle continue à se laisser vider de son sang. »


Au même moment, dans les derniers mois de cette année 1942, Emmanuel Ringelbum, qui veut témoigner de ce qu’il vit et voit dans le ghetto de Varsovie, écrit de courtes notes :

« La toute dernière période. Le temps des atrocités. Impossible d’écrire une monographie parce que… »

Il énumère les lieux d’extermination et répète :

« Temps de persécutions et maintenant temps des atrocités. »



Un nom revient : Treblinka.

C’est le dernier et le plus meurtrier des camps, construit au nord-est de Varsovie, à proximité de la voie de chemin de fer Varsovie-Bialystok, sur un terrain sablonneux dans un coude de la rivière Bug.

Une voie unique mène de la dernière gare au camp.

Comme dans les autres camps – Chelmno, Belzec, Sobibor –, les déportés doivent se déshabiller et laisser tous leurs vêtements et leurs objets précieux sur les quais de la « place de déshabillage ».

De là, les victimes sont conduites aux chambres à gaz par la « route du ciel » : Himmelstrasse, un étroit corridor caché par d’épais branchages. Un panneau indique les « douches ».


Dans les derniers mois de 1942, un ancien policier autrichien, Franz Stangl, spécialiste de l’euthanasie, prend le commandement du camp. Il dirigeait jusqu’alors celui de Sobibor.

Là-bas, il avait l’habitude de faire le tour du camp en culottes de cheval blanches.

Il raconte sa première visite à Treblinka.

« J’y suis allé en voiture, conduit par un chauffeur SS. L’odeur s’est fait sentir à des kilomètres. La route longeait la voie ferrée. À quinze ou vingt minutes de voiture de Treblinka, nous avons commencé à voir des cadavres le long de la voie, d’abord deux ou trois, puis davantage et, en arrivant à la gare, il y en avait des centaines, semblait-il, couchés là, abandonnés, apparemment depuis des jours à la chaleur. Dans la gare, il y avait un train plein de Juifs, les uns morts, d’autres encore vivants, ça aussi avait l’air d’être là depuis des jours. […] Lorsque je suis arrivé au camp, en descendant de voiture sur la place de triage, j’ai eu de l’argent jusqu’aux genoux. Je ne savais de quel côté me tourner, où aller.

« Je pataugeais dans les billets de banque ; la monnaie, les pierres précieuses, les bijoux, les vêtements […]. L’odeur était indescriptible ; des centaines, non des milliers de cadavres partout, en décomposition, en putréfaction. De l’autre côté de la place, dans les bois, juste à quelques centaines de mètres de la clôture barbelée et tout autour du camp, il y avait des tentes et des feux avec des groupes de gardes ukrainiens et des filles – des putains, je l’ai appris plus tard, venues de tous les coins du pays – ivres, titubant, dansant, chantant, jouant de la musique. »


Cette horreur, dans les derniers mois de 1942, on ne l’ignore plus, ni à Londres, ni à Washington, ni dans aucun des pays occupés, mais on ne veut pas l’admettre.

Dans les communautés juives, les éclairs de lucidité sont effacés par l’incrédulité, l’espoir qui ne cesse de renaître.

Suivant les pays, l’attitude de la population varie, mais la passivité l’emporte.


Le 16 novembre 1942, le représentant de Ribbentrop à La Haye écrit au ministère des Affaires étrangères du Reich :

« La déportation s’est déroulée sans difficulté ni incident… La population hollandaise s’est habituée à la déportation des Juifs. Il n’y a pas le moindre trouble. Les nouvelles du camp de Rauschwitz [pour Auschwitz] paraissent favorables. Les Juifs ont donc laissé tomber leurs doutes et se rendent plus ou moins volontairement aux points de rassemblement. »

Et pourtant, des témoins oculaires assistent à l’embarquement des malades de la principale institution psychiatrique juive :

« J’ai vu les membres de la Schutzpolizei placer une rangée de patients, dont beaucoup de vieilles femmes, sur des matelas au fond d’un camion, puis entasser dessus cargaison sur cargaison de corps humains. Ces camions étaient si pleins à craquer que les Allemands eurent beaucoup de mal à refermer les hayons. »


Comme l’Église catholique hollandaise a protesté contre les déportations, les Allemands arrêtent des Juifs baptisés et, parmi eux, la philosophe et religieuse carmélite, Edith Stein[4].


Cachée dans une soupente d’Amsterdam, une jeune fille, Anne Frank, note à la fin de l’année 1942 :

« Nos nombreux amis juifs sont emmenés par groupes entiers. La Gestapo ne prend vraiment pas de gants avec ces gens, on les transporte à Westerbork, le grand camp pour Juifs en Drenthe, dans des wagons à bestiaux. »

Anne poursuit :

« S’il se passe déjà des choses aussi affreuses en Hollande, qu’est-ce qui les attend dans les régions lointaines et barbares où on les envoie ? Nous supposons que la plupart se font massacrer. La radio anglaise parle d’asphyxie par les gaz ; c’est peut-être la méthode d’élimination la plus rapide. »

Elle décrit les arrestations à Amsterdam.

« D’innombrables amis et relations sont partis pour une terrible destination. Soir après soir, les voitures vertes ou grises de l’armée passent, ils sonnent à chaque porte et demandent s’il y a des Juifs dans la maison. […] Rien n’est épargné, vieillards, enfants, bébés, femmes enceintes, malades, tout, tout est entraîné dans ce voyage vers la mort. »

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