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La fête de Jeanne d’Arc, en ce mois de mai 1942, le général Pierre Kœnig qui commande avec le général de Larminat les 5 000 hommes de la 1re Division légère Française Libre (la 1re DFL) la célèbre à sa manière, dans le désert de Libye.
Il tient avec ses hommes le site de Bir Hakeim, à l’extrémité sud de la ligne de défense anglaise. À l’autre bout, au nord-est, le port de Tobrouk que l’Afrikakorps de Rommel n’a pas réussi à reconquérir.
Les Free French jouent donc un rôle essentiel dans le dispositif de la 8e armée anglaise.
Kœnig sait, en ancien combattant de la Première Guerre mondiale, fortifier la position de la 1re DFL.
Il dit à ses Sénégalais, Malgaches, Nord-Africains, originaires des îles du Pacifique, Antillais, Vietnamiens, Cambodgiens, Syriens, Libanais, Indiens, Français de toutes les régions de France et étrangers de la 13e demi-brigade de la Légion étrangère qui la composent : « Tout soldat dans un trou est un seigneur. »
Chaque soldat doit creuser son trou individuel. Kœnig dispose ses hommes, dans ce désert de pierraille parsemé de touffes desséchées.
L’état-major anglais a demandé à Kœnig de tenir contre les panzers de Rommel et ceux de la division italienne Ariete. La 1re DFL sera encerclée par Rommel mais, répètent les Anglais au commandant du Free French Group, il est interdit de céder.
Cette phase défensive de la bataille durera dix jours. Alors les Français verront arriver les divisions anglaises chassant les débris de l’Afrikakorps.
Les Français devront être prêts à ce moment-là à engager la poursuite.
Mais dans l’attente de cette bataille, comment survivre dans ce lieu aride, Bir Hakeim, qui signifie « Puits du chef » ? Les Français y ont découvert trois citernes romaines enterrées qui ont résisté aux siècles. Mais elles sont asséchées.
Or il faut prévoir, avec des températures de plus de 40 °C, six litres d’eau par homme et par véhicule.
Les hommes de Kœnig récupèrent des citernes de 3 000 litres dans des dépôts de matériel italien et allemand abandonnés.
On les enterre comme on enterre les postes de secours pour les blessés.
Et il faut créer un « désert dans le désert », préparer des champs de mines qui seront les défenses infranchissables de Bir Hakeim. Les sapeurs poseront 130 000 mines !
Puis attendre, explorer le désert.
Kœnig, comme le capitaine Simon et le lieutenant Messmer qui ont gagné en juin 1940, ensemble, Londres, organise les patrouilles – des Jock colonnes motorisées – qui sillonnent le désert durant trois ou quatre jours avant de « rentrer » à Bir Hakeim.
Elles « reconnaissent » l’ennemi, le harcèlent, font des prisonniers, puis « décrochent ».
En ces jours de mai, la chaleur est accablante et les nuits sont glaciales. L’eau est rare, tiède, fétide. Mais le vin que les Free French ont exigé – on ne prive pas un légionnaire de vin : les Anglais l’ont compris – est imbuvable. Il faudra donc se contenter de thé.
À partir de la deuxième quinzaine de mai, l’aviation allemande commence à harceler Bir Hakeim ; c’est le prélude de l’attaque de Rommel.
Enfin, les panzers s’ébranlent, approchent en formations importantes des champs de mines, ce 26 mai 1942, la bataille de Bir Kakeim est commencée.
« Pendant plus d’une heure, raconte Pierre Messmer, nous voyons les chars, à peine cachés par la poussière qu’ils soulèvent, évoluer, tirer, sauter sur nos mines, s’embraser sous les coups de nos canons antichars, s’approcher et même pénétrer dans le point d’appui, avant de se replier en abandonnant trente-cinq épaves sur le terrain. »
« Dans sa justice, le Dieu des batailles offre aux soldats de la France Libre un grand combat et une grande gloire », écrira de Gaulle.
Quant à Kœnig, décidé à remplir et au-delà la mission que les Anglais ont confiée aux Français Libres, il va d’un point d’appui à l’autre, encourage les soldats recroquevillés dans leur trou individuel.
Tous, quelle que soit leur origine, tous volontaires, expriment sans avoir à parler leur certitude de la victoire.
Kœnig se souvient – en ce mois de mai, le mois de Jeanne d’Arc – des vers de Péguy dans Le Mystère des saints Innocents.
Il lui semble que le poète, tué d’une balle en plein front lors des premiers combats de l’été 1914, a dressé, par avance, le portrait d’un Français Libre.
« Peuple soldat, dit Dieu, rien ne vaut les Français dans la bataille (Et ainsi rien ne vaut les Français dans la Croisade).
« Ils ne demandent pas toujours des ordres et ils ne demandent pas toujours des explications sur ce qu’il faut faire et sur ce qui va se passer.
« Ils trouvent tout d’eux-mêmes, ils inventent tout d’eux-mêmes, à mesure qu’il faut.
« Ils savent tout, tout seuls. On n’a pas besoin de leur envoyer des ordres à chaque instant.
« Ils se débrouillent tout seuls. Ils comprennent tout seuls. En pleine bataille ils suivent l’événement.
« Ils se retournent, ils savent toujours ce qu’il faut faire sans aller demander au général.
« Sans déranger le général. Or il y a toujours la bataille, dit Dieu.
« Il y a toujours la Croisade.
« Et on est toujours loin du général. »