II

Où il est question du tir aux bouteilles dans une cave et où le jeune Marbe, natif de Tahiti, fait preuve d’un amour assez inattendu pour les enfants


— Que diriez-vous maintenant d’une petite sieste, docteur ? Dans le Midi, c’est presque une institution officielle, surtout après la bouillabaisse de Titin et le vieil armagnac qu’il va nous servir. Sans doute avez-vous voyagé une partie de la nuit dernière ? Quant à la nuit prochaine (clin d’œil), il est probable (nouveau clin d’œil) que vous n’aurez pas l’intention de dormir beaucoup… Vous devriez aller préparer une chambre, Héloïse…

— Elle est déjà prête ! dit celle-ci, qui ne tenait pas du tout à rater l’armagnac.

Et le Petit Docteur, tout somnolent qu’il était, eut l’impression que M. Marbe était contrarié. Peut-être aurait-il voulu lui parler de sa sœur en l’absence de celle-ci ?

Dix minutes plus tard, Jean Dollent prenait possession d’une chambre où l’on s’était contenté d’empiler dans les coins les objets de toutes sortes qui, auparavant, devaient encombrer le lit. Les persiennes, frappées en plein par le soleil, étaient closes, mais, entre les lattes, le Petit Docteur put voir son hôte qui s’installait lui aussi pour la sieste, sous le gros figuier du jardin.

M. Marbe portait maintenant un complet de tussor blanc dont la veste à un seul rang de boutons était fermée jusqu’au col, sans doute un ancien uniforme d’administrateur colonial.

M. Marbe la déboutonnait, entourait son casque d’un mouchoir, s’étendait dans son transatlantique, cependant que des mouches commençaient à tourner autour de sa tête.

Dollent avait à peine eu le temps de retirer son veston et ses chaussures qu’on frappait à la porte et qu’Héloïse entrait, un doigt sur les lèvres.

— Chut !… Il dort… Je voulais vous parler quelques minutes en dehors de lui… Qu’est-ce que vous en pensez, docteur ?

— Que voulez-vous dire ?

Elle eut un mouvement du doigt vers son front, ce qui, dans tous les pays du monde, fait allusion à la folie plus ou moins caractérisée de quelqu’un.

— Vous ne croyez pas ? Vous qui êtes médecin…

— Qu’est-ce qui vous fait penser ça ?

— Vous savez, comme la plupart des coloniaux, mon frère a toujours été assez original… Même que, quand il est revenu définitivement en France, j’ai hésité, quoique veuve, à me mettre comme qui dirait en ménage avec lui… Encore, pendant les deux premières années, il était assez tranquille et il passait son temps, dans notre maison de Sancerre, à classer et à reclasser tout ce bric-à-brac qu’il a rapporté des quatre coins du monde… Je vous demande un peu si c’est raisonnable de s’encombrer de saletés pareilles, qu’on ne sait même pas si des lépreux ne les ont pas touchées…

Coup d’œil de Dollent, à travers les persiennes, à Marbe qui paraissait dormir.

— Tout à coup, il a parlé de venir vivre dans le Midi et d’y faire construire une villa… Je ne savais pas qu’il était riche… Je lui ai demandé :

« — Avec quel argent ?

« — Ne t’occupe pas de ça…

« — Tu as des économies ?

« — Je n’ai de comptes à rendre à personne…

« Et depuis lors, il faut bien le dire, ça va de mal en pis. Il est cachottier comme une vieille femme… Quand il voyage, je ne peux même pas savoir où il va… Quand il ouvre la boîte aux lettres, on dirait toujours qu’il a peur…

« Car il est peureux, docteur… Il n’ose pas vous l’avouer… Tenez… Il vous a raconté que, lorsqu’il entend du bruit, la nuit, il se lève et inspecte la maison…

« Eh bien ! Ce n’est pas vrai… Qu’il entende du bruit, c’est possible, quoique je n’aie jamais rien entendu de net… Il est vrai que j’ai le sommeil dur…

« Quant à quitter sa chambre, c’est faux, et je suis sûre qu’il reste derrière la porte, à écouter et à trembler… Ce n’est que le lendemain matin, quand il fait grand jour, qu’il tourne en rond dans la maison pour s’assurer que rien n’a disparu…

« Ce qui me fait le plus peur… Figurez-vous que maintenant il a toujours deux ou trois revolvers chargés dans sa chambre…

« Et savez-vous à quoi il lui arrive de passer ses après-midi ? Il descend dans la cave, tout seul… Avec une petite torche électrique, il éclaire rapidement des bouteilles vides rangées contre le mur et il tire des coups de revolver…

« Sont-ce des distractions pour un homme de son âge ?

« Est-ce que je n’ai pas raison de prétendre qu’il…

Elle ne pouvait comprendre le sens du léger sourire qui venait de se dessiner sur les lèvres du Petit Docteur. C’est que, à travers les persiennes, celui-ci avait constaté que le fauteuil de M. Marbe était vide. Il devinait que ce dernier montait l’escalier sans bruit, écoutait un instant derrière la porte, puis…

La porte s’ouvrit, en effet. Héloïse tressaillit, prise en faute.

— Qu’est-ce que vous faites ici ?

— Je, venais m’assurer que le docteur n’avait besoin de rien. N’est-ce pas, docteur ?

— Vous pouvez aller…

Dommage que le Petit Docteur ait été engourdi par ce déjeuner méridional si copieusement arrosé. Il aurait mieux savouré l’imprévu de toutes ces scènes et le pittoresque des habitants de la villa.

— Qu’est-ce qu’elle vous a dit ?… Je n’ai pas osé vous prévenir, ou plutôt je ne l’ai fait qu’à demi-mot… Depuis la mort de son mari, ma sœur s’est prise de passion pour la bouteille… Je ne dis pas qu’elle verse maintenant dans l’ivrognerie, mais vous verrez qu’à certain moment, elle a l’œil plus brillant, la bouche plus pâteuse qu’il ne se devrait et…

— Si, comme vous l’avez si aimablement proposé, nous prenions un peu de repos, monsieur Marbe ?

— Je descends… Je vous demande pardon… Quand j’ai senti que ma sœur n’était plus en bas… J’ai l’oreille très fine, l’habitude des indigènes qui ne font jamais de bruit…

Il s’en alla à regret et le Petit Docteur n’essaya même pas de dormir. Mieux, dans la crainte de succomber à la torpeur qui l’envahissait, il résista au désir de s’étendre sur le lit et resta inconfortablement assis sur une chaise.

— En supposant que M. Marbe ne soit pas fou et qu’il dise vrai…

Il ne renonçait pas à la méthode qui lui avait si bien réussi dans les affaires précédentes. Il fallait avant tout trouver une base solide, une vérité indiscutable.

Or, cette vérité, il pouvait la résumer à peu près comme suit :

Un inconnu cherchait quelque chose dans la villa de Golfe-Juan.

Ce quelque chose était difficile à trouver puisque, en trois mois de visites bihebdomadaires, il n’avait pu mettre la main dessus.

Enfin, l’inconnu n’avait jamais tenté, avant ces trois mois, de s’emparer de l’objet.

De trois choses l’une :

1° Ou bien, avant ces trois mois, l’objet n’y était pas ;

2° Ou bien l’inconnu ignorait qu’il y était ;

3° Ou bien l’inconnu était alors dans l’impossibilité de venir le chercher.

Et pourquoi ne venait-il que deux fois par semaine ? Toujours le mercredi et le samedi ?

La villa n’était pas gardée davantage les autres jours. Les difficultés ou les facilités étaient les mêmes.

Donc, l’inconnu n’était libre que le mercredi et le samedi de chaque semaine.

Enfin, il avait été averti d’une façon ou d’une autre de la présence de la police dans la villa pendant une semaine entière, puisque, cette semaine-là, il ne s’était pas dérangé.

Quant à savoir si M. Marbe était fou ou sain d’esprit ?… Sans être psychiatre, le Petit Docteur avait, comme interne, étudié les maladies mentales.

— Il est nerveux, c’est certain. Il donne l’impression d’un homme poursuivi par une idée fixe, plus exactement d’un homme hanté par la peur. Et ce n’est pas une peur vague ! C’est la peur d’un événement bien déterminé.

C’était si vrai que, s’il fallait en croire Héloïse, qui n’avait aucune raison de mentir, il n’osait pas sortir de sa chambre lorsqu’il entendait la nuit des bruits dans la maison.

Savait-il qui fouillait avec tant d’obstination son immense bric-à-brac ?

Et, s’il le savait, savait-il ce que l’homme cherchait ?

Pourquoi s’entraîner dans la cave au tir au revolver – et dans l’obscurité ! – sinon parce qu’il était décidé à agir une nuit ?

Enfin, la question essentielle : pourquoi, si M. Marbe savait tout cela, avait-il fait appel au Petit Docteur dont il ne connaissait les talents que par ouï-dire, et pourquoi lui avoir envoyé, avant d’être sûr de son acceptation, une somme assez importante ?

— Ce soir, il ne faut pas que je boive ! se promit Jean Dollent. Car c’est ce soir qu’il doit se passer quelque chose. C’est ce soir ou jamais que je saurai…

Au même instant il tressaillit. Il croyait être tranquille jusqu’à la nuit, mais les événements marchaient plus vite qu’il n’avait pensé.

On entendait des voix, dans le jardin, puis sous la pergola, et c’étaient les voix de deux hommes qui se disputaient.

Il essaya bien d’entrouvrir la fenêtre pour entendre, mais ce n’était qu’un murmure confus qui arrivait jusqu’à lui.

Tant pis ! Il remit ses chaussures, son veston. Il n’était pas un invité ordinaire et il avait le droit, sinon le devoir, de se montrer indiscret.

Il descendit, en essayant de se donner l’air d’un homme qui vient de faire une bonne sieste et qui en est encore engourdi. Dans la salle à manger, il trouva Héloïse occupée à mettre un peu d’ordre, pour autant que ce mot pût s’appliquer à la maison, et elle lui dit comme en confidence :

— C’est son fils qui vient d’arriver…

Le Petit Docteur alluma une cigarette, se fit aussi désinvolte que possible et se montra sur la pergola. Il eut l’impression nette que M. Marbe, qui le vit le premier, faisait signe à son fils de se taire.

— Pardon, si je vous dérange, mais…

— Pas du tout, docteur… Je vous présente mon fils Claude… Je vous en ai déjà parlé, n’est-ce pas ?… Vous voyez que c’est un beau grand garçon…

Hum !… Ce n’était pas tout à fait le genre de fils que le Petit Docteur aurait souhaité avoir… Un grand garçon, certes, bâti en force et en souplesse, les traits un peu gras, mais cela devait tenir à son origine tahitienne…

Brun de poil. La peau basanée et lisse… Des yeux immenses… Des lèvres charnues…

Ce qui gênait, par exemple, c’était une élégance un peu trop voyante et une attitude qui rappelait, jusque dans le regard et dans le balancement du corps, les mauvais garçons de la Côte d’Azur.

Professeur de natation, c’était sans doute vrai. Mais il devait fréquenter aussi certains petits bars et ne pas répugner, à l’occasion, à de menus trafics d’une propreté douteuse…

— Bonjour, monsieur ! dit-il assez sèchement.

— Le docteur est un ami… Un vieil ami qui est venu passer quelques jours avec nous…

Et, du regard, M. Marbe faisait comprendre au docteur que son fils n’était au courant de rien.

— Vous avez fait les colonies ? Questionna Claude, méfiant.

Ce fut son père qui répondit pour Dollent, par crainte d’une gaffe de celui-ci :

— Non… J’ai connu le docteur à Sancerre… Quand j’ai su qu’il était pour quelques jours dans la région…

— Dites donc, docteur !

Vulgaire, le jeune Claude ! Dollent ne l’aimait pas du tout ! Il aimait encore moins cette façon à la fois agressive et ironique d’interpeller les gens.

— Je ne sais pas si vous connaissez mon père depuis longtemps, mais ce que je peux vous dire, c’est que c’est un sacré maniaque…

— Claude ! Intervint M. Marbe, mal à l’aise.

— Quoi ? Je ne vois pas la nécessité de faire des mystères. Ce que je suis venu te demander est assez naturel pour que tout le monde le sache, à plus forte raison un vieil ami, comme tu dis…

— Mon fils, monsieur Dollent, est…

— Laisse-moi parler… Et avoue avant tout que je ne t’ennuie pas souvent… D’abord, je gagne ma vie, ce qui est assez méritoire, car ce n’est pas ma faute si j’ai du sang tahitien dans les veines, ni si les Tahitiens ne sont pas particulièrement prédisposés au travail…

— Claude !

— Vous me comprenez, docteur… Je tire mon plan… C’est à peine si, une fois de temps en temps, quand j’ai un coup dur, je viens demander un billet de mille ou deux à mon père… À mon âge, tous les jeunes gens en font autant et il ne serait pas juste qu’il jouisse tout seul de sa fortune… Je suis venu aujourd’hui parce que…

— Si c’est un billet de mille francs que tu veux…

— Tu sais bien que non, papa… Écoutez, docteur… Vous serez l’arbitre… Si vous avez visité la maison, vous avez pu voir que cela tient à la fois du bazar et du musée… Il y a de tout, des horreurs et des choses pas trop mal… Mon père est un de ces hommes qui ne jettent jamais rien, pas même un complet usé, et il doit avoir quelque part une boîte avec tous ses vieux boutons…

— Tu exagères !

— Soit ! N’empêche qu’il y a là-haut tous mes anciens jouets… J’ai été un enfant gâté… Quand nous étions à Tahiti, il m’arrivait des jouets par tous les bateaux de France… Mon père les a gardés… Cela n’a aucune valeur, bien entendu… Or, aujourd’hui, j’ai un copain qui a un enfant… Je lui ai promis ces vieux jouets et je suis venu demander à mon père…

Celui-ci esquissa un sourire triste.

— Vous comprenez, docteur ? dit-il. Il trouve tout naturel de venir me prendre des objets qui sont des souvenirs de son enfance et de sa pauvre mère…

— Fais pas le sentimental ! Trancha le jeune homme. Alors, c’est non ?

— Prends tout ce que tu voudras… soupira le vieillard, résigné.

— J’ai amené la bagnole d’un copain… Ce sera vite fait. Et, sans le moindre remords, il s’élança dans la maison, où on l’entendit grimper au premier étage…

— C’est un bon garçon ! soupira le père. Mais il est impulsif. Il a le cœur sur la main. Parce qu’il a promis à un ami…

— Si nous allions voir ?

— Quoi ?

— Les jouets qu’il emporte…

— Si vous y tenez !…

Quelques instants plus tard, ils trouvaient Claude pataugeant dans la poussière du plus grand des deux greniers. M. Marbe avait vraiment été un père généreux. Mêlés aux objets indigènes de tous les pays tropicaux (il y avait même un immense crocodile empaillé !) on distinguait deux ou trois chevaux de bois de tailles différentes, un vélo à trois roues, des soldats de plomb.

— Tu emportes tout ? Questionna le père en regardant ailleurs.

Et à ce moment, le Petit Docteur ne fut pas loin de se laisser gagner par une certaine émotion.

Chose étrange, il sentit chez le jeune homme une hésitation. Son regard chercha les yeux de son père. Que se passait-il donc entre eux deux ? Et pourquoi Marbe regardait-il plus obstinément encore dans l’autre coin de la pièce ?

— Tout, oui !

— Comme tu voudras…

Claude faisait un pas sur le palier. Il ramassait jusqu’à des menus objets sans valeur, de ces pantins qu’on vend pour quelques sous, une flûte en celluloïd, un tambour dont la peau était crevée, un revolver Eureka.

Pourtant, il ne paraissait pas satisfait. Il enjambait des caisses, des sacs, des boucliers et des tas de flèches. Il cherchait quelque chose. Son front se plissait. De temps en temps, il lançait à son père un coup d’œil méfiant.

— Tu n’en as pas encore assez ? s’efforça de plaisanter M. Marbe. Tu crois que le fils de ton copain, comme tu dis, ne pourra pas s’amuser avec ça ?

— Je cherchais…

Il hésita. Le Petit Docteur sentit qu’on en était arrivé au point sensible.

— Qu’est-ce que tu cherchais ?

— Une trompette en bois… Tu ne dois pas t’en souvenir. Une trompette avec des lignes bleues et rouges et un gland de soie rouge…

— Je ne me souviens pas…

— C’est drôle !

— Pourquoi ?

— Il me semble que je l’avais vue…

— Tu crois que le fils de ton ami a vraiment besoin de…

— Ce n’est pas cela… Mais je me souviens de cette trompette parce que c’était mon jouet préféré… J’aurais aimé la retrouver…

— Cherche !

Le regard de M. Marbe au Petit Docteur semblait dire : « Et voilà les enfants ! On a tout fait pour eux ! Un beau jour, ils viennent avec des exigences, presque des injures à la bouche ! Ils emportent tous les souvenirs pour les donner à un inconnu. Tant pis si leur père en a le cœur qui saigne…»

Et cela aurait été très émouvant si Dollent n’avait pas senti là-dessous quelque chose qui grinçait. Quoi ? Il n’aurait pu le préciser.

C’était comme si, sous les mots qui se prononçaient, d’autres mots – les seuls importants – eussent été sous-entendus. Il avait l’impression nette que sous la comédie, voire sous le vaudeville, c’était un drame qui se jouait, mais un drame dont il ne possédait pas la clé.

— Tu la trouves ?

— Non !

Et le jeune homme avait un dur regard pour son père.

— Tu veux fouiller la maison ?

Or Claude ne disait ni oui, ni non ! On pouvait croire qu’il allait le faire, que pour une trompette en bois qui devait bien valoir trois francs ou cent sous, il allait bouleverser les collections d’objets indigènes que l’ancien administrateur avait mis toute sa vie à amasser.

La note presque comique fut donnée par Héloïse. À son regard, quand elle surgit, essoufflée d’avoir monté les marches, le Petit Docteur conclut qu’elle venait de s’offrir une forte rasade.

— Qu’est-ce que vous faites ici ? s’étonna-t-elle.

— Claude emporte ses anciens jouets pour les donner à un ami !

— Bon débarras !

— Il tient à ne rien oublier…

— Qu’il prenne donc tout ce qu’il y a dans la maison. On pourra, après ça, faire le ménage… Qu’est-ce que tu cherches, Claude ?…

— Une trompette en bois…

— Avec des lignes bleues et rouges et un gros pompon rouge ?

— Oui…

— Elle est dans la garde-robe de ton père… Je l’y ai encore vue l’autre jour… Même que je me suis demandé pourquoi il serrait précieusement un objet de quatre sous avec ses vêtements et son linge…

M. Marbe ne bougea pas. Il était devenu plus pâle que d’habitude. Des gouttes de sueur perlaient à son front.

— C’est vrai ? Questionnait Claude en le regardant.

— Si ta tante le dit… Je ne sais pas… C’est possible que cette trompette ait été rangée là par hasard… Vous m’embêtez, à la fin, avec ces histoires de jouets, alors que j’ai d’autres soucis…

Il s’emportait, pour la première fois. Sa colère montait, mieux, sa rage.

— Ce que je ne comprends pas, c’est qu’on choisisse le moment où j’ai un ami dans la maison pour m’assommer avec ces histoires de jouets, et je me demande si je ne ferais pas mieux de…

— Où est cette armoire, tante ? demandait calmement le jeune homme.

— Dans sa chambre.

Sans s’inquiéter de l’état de son père, il descendit un étage. M. Marbe le suivit. Le Petit Docteur suivit à son tour et Héloïse ferma la marche.

— Je m’étais toujours demandé ce que cette trompette… murmurait-elle.

La porte de la chambre était ouverte. M. Marbe ouvrait la garde-robe…

— Cherche… Prends-la si tu la trouves…

Et il ricanait douloureusement comme un homme blessé dans ses sentiments les plus chers.

Claude était déjà trop loin pour reculer. Il fouillait parmi les vêtements et les piles de linge, glissait la main derrière un rang de chaussures et d’espadrilles.

Alors, il y eut un moment où la scène aurait dû atteindre au plus haut comique. C’est quand, dans cette atmosphère tendue, le jeune homme brandit soudain un objet dont la disproportion avec l’ambiance qui l’entourait était par trop flagrante : une trompette en bois comme on en vend dans tous les bazars, au bariolage si naïf que le Petit Docteur faillit éclater de rire.

Il se contint. Il jeta un coup d’œil vers son hôte et il vit deux grosses larmes couler des yeux de M. Marbe.

— Il y a un tel désordre dans la maison… balbutiait celui-ci d’une voix trouble, en détournant la tête.


Загрузка...