III
Où le Petit Docteur joue le tout pour le tout et risque bel et bien une condamnation pour faux, usage de faux, détournement de documents, vol et recel… sans compter une condamnation plus grave encore
Qui donc a dit que, sans la vanité, qui est le plus grand ressort de l’humanité et qui inspire les héroïsmes, l’homme en serait encore à l’âge des cavernes ?
Le Petit Docteur s’était levé à six heures du matin, selon son habitude. Autant dire qu’il était presque seul danse les rues de Paris, avec les boueux.
Mais il était bien décidé à ne pas se laisser humilier par le commissaire Lucas et à prouver que ce flair dont on commençait à parler en province ne s’émoussait pas au contact de la capitale.
Deux heures durant, il erra le long des quais et on eût pu croire qu’il n’était sensible qu’au spectacle des péniches glissant au fil de l’eau. En réalité, il pensait : « Pourvu qu’il y ait des lettres pour moi au premier courrier ! »
Puis il chercha une pharmacie ouverte et, pour en trouver une, il alla jusqu’à la rue Montmartre, ce qui lui donna le plaisir de traverser les Halles. Les deux petites fioles qu’il se procura étonnèrent un peu l’aide-pharmacien, surtout quand il demanda, en outre, un pinceau comme ceux dont on se sert pour les badigeonnages de gorge.
— Courrier pour moi ? s’enquit-il, à huit heures tapant, à la direction de son modeste hôtel.
— Trois lettres, monsieur le docteur…
Il grimpa dans sa chambre. Il ne se donna pas la peine d’ouvrir les lettres mais, par contre, il trempa son pinceau dans chacune des fioles, le passa deux fois sur les mots « Jean Dollent » et ces mots s’effacèrent comme par enchantement.
Après quoi il écrivit lentement, la langue entre les lèvres :
Kees Van der Donck…
Il était sous pression. Un quart d’heure ne s’était pas écoulé qu’il pénétrait en coup de vent au bureau de poste 42 et s’arrêtait devant le guichet de la poste restante.
— Vous avez quelque chose pour moi ?
— Quel nom ?…
— Kees Van der Donck…
— Vous avez des papiers d’identité ?…
— Je les ai laissés à l’hôtel…
— Dans ce cas… À moins que vous ayez sur vous deux enveloppes avec le cachet de la poste…
Il les montra, reçut pour sa récompense une belle lettre à en-tête de l’Hôtel Métropole au nom de Van der Donck.
— Il y a quatre-vingts centimes de taxe… Plus dix sous de poste restante…
Tant pis pour Lucas ! Tant pis pour la police officielle ! Qui est-ce qui, le premier, avait nargué l’autre ?
Moins de dix minutes plus tard, un taxi le déposait à la Gare du Nord, où il se précipitait à la consigne en brandissant le récépissé d’expédition qu’il avait trouvé dans l’enveloppe…
— Je viens chercher ma malle…
On examina le récépissé. On le tourna et retourna sur toutes ses faces, et déjà le Petit Docteur commençait à trembler.
— Voyez à la douane…
Il dut courir encore, comme les enfants qui jouent aux quatre coins, renvoyé d’un hall à un autre, et enfin un employé lui montra une immense malle-cabine dressée dans un coin. Un douanier attendait.
— Vous avez les clés ?
Zut ! Il n’avait pas pensé aux clés !
Et… Et soudain, une idée lui traversait l’esprit… L’homme qui avait téléphoné à l’Hôtel Métropole pour faire expédier la malle n’avait pas pensé aux clés non plus…
Du coup, ses derniers scrupules s’évanouirent…
— J’ai, en effet, perdu les clés de cette malle…
— Vous pourriez appeler un serrurier…
— Ce n’est pas la peine… La malle est vieille… Je suis sûr qu’avec une paire de pinces on pourra couper la serrure et…
— Vous avez des pinces ? Laissa tomber le douanier.
Il n’en avait pas sur lui, évidemment ! Et il se mit à galoper dans les locaux de la gare à la recherche d’une paire de pinces coupantes.
C’était comme quand, en rêve, on se croit poursuivi et qu’on a les jambes qui mollissent au point qu’on ne peut plus mettre un pied devant l’autre…
Est-ce que Lucas et ses hommes…
Sans cesse il regardait vers la rue. Sa poitrine se serrait. Il avait des pinces. Il venait de donner vingt francs à un homme de peine pour les lui emprunter…
Il accourait…
— Voilà… Il n’y a qu’à forcer sur la serrure…
« Tant pis pour vous ! » eut l’air de dire le douanier.
Le métal se déchira… Il ne restait plus qu’à ouvrir la malle, qui, comme toutes les malles-cabines, se tenait debout…
— Voilà ! Triompha-t-il. Vous pouvez regarder, monsieur le douanier…
Quant à lui, il recula de deux pas. Il était pâle. Ses doigts étaient agités d’un tremblement. L’angoisse… S’il s’était trompé ?… S’il avait commis tous ces délits pour…
— Dites donc !…
Le douanier reniflait, furieux.
— Qu’est-ce qu’il y a, là-dedans ?… Il me semble… Au même moment, il écartait les deux côtés de la malle et un cadavre lui tombait dans les bras.
— Attention ! Ne le laissez pas échapper… C’est un assassin…
Le Petit Docteur n’essayait pas de s’enfuir, mais les gens, autour de lui, ne pouvaient croire qu’il se laisserait appréhender aussi facilement. Peut-être le supposait-on armé ? En tout cas, grâce à la panique, il aurait pu s’enfuir dix fois s’il l’avait voulu.
— Appelez la police… Téléphonez au…
Il s’était assis sur une caisse et il avait allumé une cigarette. Ce qui étonnait le plus ceux qui le regardaient avec horreur, c’était encore le sourire de contentement qui flottait sur les lèvres.
Qu’on le conduise d’abord au commissariat spécial de la gare…
Là, on le fit attendre un bon quart d’heure, gardé par deux agents qui étaient prêts à lui taper sur la figure au moindre geste équivoque.
Et il souriait toujours !
— Allô !… La Police judiciaire ?… Nous venons d’arrêter un nommé Van der Donck, qui tentait de retirer une malle à la consigne… Or, cette malle… Vous dites ?… Bien… Entendu, chef…
Deux cents, trois cents personnes dehors ? Il y avait même un photographe de journal qui attendait à la gare l’embarquement d’une vedette de cinéma et qui, profitant de l’aubaine, mitraillait à bout portant le Petit Docteur.
— Passez-lui les menottes… Faites avancer un taxi… Vous le conduirez directement à la PJ…
N’était-ce pas amusant de traverser ainsi Paris, menottes aux poings, entre deux agents qui lui entraient leur ceinturon dans les côtes ? Et de franchir la grande porte de pierre du Quai des Orfèvres…
— Par ici… Tranquille, hein !… Sinon…
Encore une chance que personne n’eût jugé nécessaire de le passer à tabac !
— Pour qui est-ce ? demanda l’huissier en jaugeant le prisonnier.
— Commissaire Lucas…
— Je vais le prévenir…
Ouf ! Il allait être tranquille ! On retirerait ces menottes qui lui meurtrissaient les poignets ! Il allait surtout triompher !
— Le commissaire vous fait dire de le mettre, en attendant, dans la cellule N°2… Il le verra tout à l’heure…
— Pardon… voulut protester Dollent. Dites au commissaire que…
— Ouste !… Par ici…
Et on l’enferma dans une cellule qui avait un mètre de large sur deux de profondeur et qui ne prenait le jour que par un guichet.
Pendant une heure, il ragea. Ensuite il fut abattu. Enfin, il reprit son calme et il commença à répéter ce qu’il dirait tout à l’heure.
— Évidemment, monsieur le commissaire, vous avez eu la possibilité, vous, de remuer ciel et terre, d’envoyer des agents dans tous les hôtels de Paris, de faire interroger des centaines de personnes et d’obtenir en très peu de temps, sur un simple coup de téléphone, tous les renseignements que vous vouliez de la Sûreté belge…
« Moi, simple amateur…
« Voulez-vous que je vous dise, mon cher commissaire, pour autant que vous me permettiez de vous appeler ainsi, ce qui m’a le plus frappé dans l’histoire que vous a racontée Van der Donck ?
« C’est que Lydia Nielsen était tout habillée quand il l’a retrouvée morte…
« Il n’était parti, lui, que depuis quelques minutes, puisqu’il n’avait fait que remonter l’avenue jusqu’à l’Etoile, où il s’était aperçu de la disparition de son portefeuille…
« Or la femme qu’il retrouvait morte était tout habillée, les bas bien tirés, et, si elle n’avait plus son chapeau sur la tête, c’est que le coup qu’on y avait assené l’avait fait glisser…
« Pour autant que je connaisse ce genre de femmes, j’aurais cru que Lydia passerait le reste de la nuit dans la chambre…
« J’ai voulu vous demander alors si le lit était vraiment défait, si on y retrouvait la forme de deux corps, mais je ne l’ai pas fait pour ne pas vous mettre la puce à l’oreille…
Un agent montait la garde derrière le guichet, mais Dollent n’en avait cure, et, comme certains prévenus préparent leur défense, il préparait, lui, sa triomphante explication.
— Van der Donck ne s’attendait pas à rencontrer Lydia Nielsen et celle-ci n’était pas à Paris par hasard…
On aurait dit qu’il attendait une objection, mais il n’y avait personne dans son cachot.
— Dès ce moment, j’ai pensé qu’ils n’étaient pas allés à l’Hôtel Beauséjour pour ce qu’ils paraissaient chercher, mais uniquement pour régler en paix leurs comptes… Lydia ne s’est pas dévêtue… Le Hollandais pas davantage… Après quelques minutes de conversation, il a dû frapper, peut-être avec un des chandeliers, peut-être avec un des chenets qu’il y avait dans la pièce…
« Puis, sagement, il a attendu, pour ne pas donner l’éveil au gardien de nuit en restant trop peu de temps…
« Il est parti… Il se croyait tranquille… Il remontait, en effet, vers les Champs-Élysées à pied… Personne ne le soupçonnait de ce crime…
« … Quand, soudain, il s’aperçoit qu’il a laissé dans la chambre son portefeuille !… Celui-ci a dû glisser de sa poche alors qu’il faisait un effort…
« Le laisser là ?… C’est se condamner… Aller le reprendre et repartir ?… C’est plus dangereux encore, car qui sait si l’alerte n’a pas été donnée ?…
« Il vaut mieux, puisqu’il a les apparences d’un honnête homme, et même d’un naïf, jouer les naïfs jusqu’au bout, rentrer dans la chambre, avertir la police, se donner pour un de ces infortunés étrangers pour qui le « Gai Paris » se transforme en source d’ennuis de toutes sortes…
« Mais pourquoi, me direz-vous, assassiner Lydia Nielsen ? Il eut une crampe à l’estomac, une crampe de faim, mais il n’y fit pas attention et il continua son soliloque :
— Je vous répondrai : Parce que Lydia Nielsen savait…
« — Que savait Lydia ?
« — Je l’ignorais, monsieur le commissaire, et c’est pour le découvrir que je suis allé à Bruxelles, où j’ai été assez ironiquement reçu par votre ami, l’inspecteur Snoek, qui, entre parenthèses, ferait bien d’être ici pour m’offrir un de ces « formidables » que je n’ai pas assez appréciés…
La clé tourna dans la serrure. La porte s’ouvrit. L’agent se contenta de grommeler :
— Venez !…