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Je ne vous raconte pas l’ambiance pendant le reste de la journée. Tout le monde était sous le choc et se posait des questions. C’est horrible, mais j’étais assez fière que la plupart de ceux de ma classe viennent me demander pourquoi Axel s’était fait embarquer. Même dans des circonstances aussi glauques, j’aime l’idée que l’on pense que je suis proche de lui. Enfin, surtout les filles, parce que les garçons vont tous interroger Léo et Louis. Et puis je ne suis pas certaine que l’on serait venu me voir si Léa avait été présente. Quoi qu’il en soit, à chaque intercours, j’essaye de joindre Axel, qui ne répond pas. Je lui ai déjà envoyé trois SMS.

Léa ne répond pas non plus. À la fin des cours, j’aperçois Léo et Louis qui sortent ensemble du bâtiment. Ils foncent droit devant eux, la mine sombre. Je les rattrape.

— Vous avez des nouvelles d’Axel ?

— Non, répond laconiquement Léo.

D’habitude, il est plus bavard.

— S’il vous plaît, les garçons, dites-moi ce qui se passe, je suis certaine que vous savez quelque chose…

Ils ne s’arrêtent même pas. Je ne vais pas renoncer pour autant. Je cours pour les dépasser et je leur barre la route.

— Je suis morte d’inquiétude. Axel a fait quelque chose de mal ?

Je trouve le regard de Louis bien brillant. Il aurait pleuré ou au moins eu les larmes aux yeux que ça ne m’étonnerait pas. Léo soupire :

— Camille, pour le moment, on ne peut pas parler. Mais Axel n’a rien à se reprocher.

— Donc vous savez ce qui lui arrive.

— On ne doit rien dire, on a promis. Il risque gros.

Je crois que c’est moi qui vais pleurer. Je sais que Léo ne lâchera rien. Même sous la torture, un espion digne de ce nom ne parle pas. Mais Louis… Axel et lui habitent le même quartier. Léo se tourne vers son pote et dit :

— Il faut que je rentre. On s’appelle tout à l’heure. Ne sois pas en retard…

Louis hoche la tête et salue son complice, qui s’éloigne. Je reste seule face à lui.

— S’il te plaît, Louis, ne me laisse pas comme ça. Tu sais ce que représente Axel pour moi. Entre lui qui se fait embarquer et Léa qui est à l’hôpital, est-ce que tu imagines…

— Camille, tout ce que je peux te dire, c’est qu’Axel n’a pas à rougir. Je ne sais même pas comment ils ont pu venir l’arrêter ici, comme un voleur, devant tout le monde.

— Est-ce qu’on peut l’aider ?

— Il n’y a rien à faire. De toute façon, ils vont lui donner tort…

Louis s’interrompt. Il en a trop dit. Je l’attire à l’écart du passage.

— Mon père bossait à la sécurité civile. Il connaît sûrement du monde. Peut-être qu’il pourra l’aider ?

Je sens bien que Louis hésite.

— Si Axel apprend que je t’en ai parlé, il m’en voudra…

Si ça n’avait pas été grave, Louis aurait dit : « Il me tuera. » Là, il a dit : « Il m’en voudra. » Ce doit être sérieux.

— Je serai muette comme une tombe.

— Tu ne dis rien, même à Léa.

— Je te le promets.

— C’est une sale histoire, mais Axel a eu raison.

— Raconte.

— Dans la résidence d’Axel, habite un vieux con qui pose des problèmes à tout le monde. Il n’arrête pas. Tout y passe, les ordures qu’il ne veut pas trier, les voitures mal garées, les gosses qui jouent sous ses fenêtres. On l’a toujours connu. Rien qu’à nous, il a crevé trois ballons. Il y a deux ans, ce fumier a fait des histoires à la mairie parce qu’il voulait rebaptiser sa rue « avenue Adolf Hitler » sous prétexte que c’était un homme célèbre comme les autres et qu’il était injuste et antidémocratique que pas une seule voie en France ne porte son nom. Personne ne peut le blairer, mais tout le monde a peur des histoires qu’il peut faire. Une vermine.

« Il y a deux mois, un matin, Axel a trouvé un de ses voisins, un petit Black, en pleurs, caché dans un buisson. Le gamin ne voulait plus aller à l’école. Axel l’a calmé et le petit lui a raconté que Mangeain — c’est le nom de l’autre enflure — lui avait dit que s’il était noir, c’était parce qu’il ne travaillait pas assez à l’école et qu’il ne ferait rien de sa vie. Sinon il aurait été blanc… Le môme était dévasté. Tu connais Axel, il est allé trouver l’autre abruti qui l’a envoyé balader. La semaine dernière, Axel a gravé de grandes croix gammées sur les portières de sa voiture, et ce con a porté plainte…

Je suis en ébullition, révoltée, scandalisée et… soulagée d’apprendre que tout ce que je crois d’Axel n’est pas remis en cause. Au contraire. J’ai envie de le défendre. Je voudrais aller étrangler cet enfoiré de Mangeain. Je suis déjà en train d’imaginer mille projets de vengeance. Louis me pose la main sur le bras.

— Ne déconne pas, Camille. Tu n’en parles à personne. C’est sérieux. Et ne t’avise pas de te mêler de ça, sinon Axel sera furieux et tu auras aussi affaire à moi.

L’avertissement est clair et me stoppe dans mes délires. La seule idée qu’Axel puisse m’en vouloir est suffisante pour me calmer.

— Merci, Louis. J’imagine qu’Axel te donnera des nouvelles.

— Avec Léo, on va aller à la gendarmerie essayer de le voir.

— C’est quand même dégueulasse.

— C’est la loi. Axel savait très bien ce qu’il faisait.

— C’est peut-être la loi, mais elle n’est pas juste.

— On n’est pas en cours de philo, Camille. On est dans la vraie vie et on a un problème. Notre souci, c’est de sortir Axel de là sans bobo.

— C’est pour ça que vous n’avez pas réagi quand les gendarmes l’ont emmené ?

— Ce n’était pas le bon moment. Mais compte sur nous, on ne va pas en rester là.

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