65

Mon coup de fil suivant a été pour Axel. En parlant avec lui, l’organisation s’est mise en place très rapidement. Il n’a pas essayé de me raisonner ou de m’en empêcher. Il m’a simplement aidée à trouver les moyens d’être le plus efficace possible. Il s’est chargé de prévenir les autres et de répartir les fonctions. Pendant qu’une partie de l’équipe rassemble le nécessaire pour se réunir à la clairière, les autres peaufinent le plan d’évasion pour Léa. Elle ne pourra pas courir ou se fatiguer. Nous devons la considérer comme un colis qu’il faut sortir de l’hôpital ou, selon Marie, comme une œuvre d’art que l’on doit dérober à un musée. La logistique est complexe, mais on est prêts à tout et Léo est un excellent stratège. Avec lui, on a vérifié point par point toutes les étapes de ce qu’il appelle « l’exfiltration ».

Louis et Axel sont ceux qui paraissent les plus âgés. Ils seront les brancardiers qui viendront chercher Léa dans sa chambre. Malik, Marie et Pauline les guideront vers la sortie par des couloirs secondaires et des monte-charges. À tous les endroits où notre « colis » pourrait se faire repérer, ils sécuriseront la zone en veillant à ce que tout soit calme au moment du passage. Tous porteront leur blouse blanche de labo de chimie avec, accroché au revers, le badge de cantine qui, de loin, peut ressembler à une carte d’accès.

Julien, qui a emprunté la camionnette d’un de ses copains électricien, attendra « la Joconde » à la porte réservée aux livraisons et aux fournisseurs de l’établissement. Il embarquera Léa et son escorte vers la colline.

J’ai été surprise de la facilité avec laquelle le frère de Léa a accepté de nous prêter main-forte. Je ne lui ai pourtant rien dit des inquiétants propos de sa sœur. Cela se confirme : quand ils sentent que c’est sérieux, les garçons savent se tenir.

Dans cet hôpital banal, personne ne s’attend à une opération de ce type. Nous avons pour nous l’avantage de la surprise, c’est notre chance. Il va quand même falloir tromper la vigilance des infirmières, omniprésentes dans ce service. Cela nous amène à l’épineux problème de la diversion. Tibor s’est spontanément proposé, mais nous savons tous de quoi il est capable et la seule option sensée serait de refuser. Nous savons aussi qu’il vivrait très mal d’être écarté de l’opération étant donné ses liens avec Léa. Devant son insistance et son air de chiot malheureux, la réponse raisonnable a donc été écartée et il est désormais investi de la délicate mission de distraire toutes les aides-soignantes… Je l’accompagnerai, avec l’espoir de l’empêcher d’en faire trop. Qui se retrouve toujours à la place la plus pourrie ? C’est Super Aguicheuse !

Tout va beaucoup trop vite pour nous laisser le temps de réfléchir, et c’est peut-être mieux ainsi. Moins d’une heure plus tard, après que Léo nous a obligés à synchroniser nos montres et fait répéter tous en chœur les étapes clés, je retourne donc à l’hôpital en compagnie de Tibor.

— Comment comptes-tu t’y prendre pour la diversion ?

— Fais-moi confiance.

— Tibor, on va déjà se retrouver accusés d’enlèvement et de mise en danger de la vie d’autrui, on ne peut pas se permettre un incendie de bâtiment public en plus.

— T’inquiète pas. Il vaut mieux que tu ne saches pas. S’ils te capturent, qu’ils te torturent et te font parler, ça risque de compromettre toute l’opération.

Comme si on n’avait déjà pas assez de Léo dans le genre commando…

Dans l’ascenseur, Tibor souffle par séries de petits coups brefs, comme un sportif qui va s’élancer pour un marathon. Moi, ça ne m’effraie pas plus que ça mais, par contre, la petite dame qui est avec nous n’a pas l’air tranquille. Je lui souris pour essayer de la rassurer, mais je dois avoir l’air d’une parfaite débile.

Une fois à l’étage, Tibor s’étire dans tous les sens et fait pivoter sa tête pour assouplir ses vertèbres. Quand il bouge ainsi, on dirait un croisement entre un pigeon ivre mort et un cobra dansant devant un charmeur de serpents qui jouerait du disco au pipeau.

On fonce directement à la chambre de Léa. Je ne sais pas pourquoi mais, avec Tibor, on marche au pas.

Léa m’accueille, pleine d’espoir.

— Tu es venu avec mon chéri ? Vous avez eu la permission de me faire sortir ?

Je m’approche et je lui murmure :

— Pas exactement, mais dans moins de trois minutes, Louis et Antoine vont venir te chercher sur une civière.

— Donc je sors ?

— C’est le but.

Clin d’œil. Elle comprend aussitôt et commence à ramasser ses affaires sur sa table de nuit. Je la calme :

— Ne t’agite pas. On pourrait se faire remarquer.

— Il faudra qu’on emporte ma bouteille d’oxygène.

— Pas de problème. Dis-leur.

— Tu restes avec moi ?

— Je dois surveiller Tibor : il est chargé de distraire les infirmières…

Elle le regarde, vaguement inquiète. Il lui adresse un adorable sourire.

— Ne va pas faire de bêtises, mon Tibor.

Il répond :

— Je vais te sauver…

Il a dit la phrase. Si on avait eu le temps, Léa et moi aurions échangé un regard mêlant le fou rire et la panique. Mais Tibor ne nous a laissé le temps de rien, et le voilà qui sort de la chambre d’un pas volontaire.

— Va avec lui, m’ordonne Léa. Ne le laisse pas seul, il est si fragile…

— Toi, tiens-toi prête. Les garçons vont arriver dans à peine deux minutes.

Tibor fonce en direction du bureau des infirmières. Il regarde sa montre pour vérifier qu’il est dans les temps.

— Tibor, attends-moi !

Trop tard, il est déjà entré.

— Mesdemoiselles, pardon de vous déranger, mais j’ai besoin de vous. Je crois que j’ai attrapé un truc pas net et j’aimerais votre avis de spécialistes parce que ça m’inquiète. J’ai un gros bouton et je ne sais pas ce que c’est. Je vais vous montrer…

Direct, il se retourne et il baisse à la fois son pantalon et son slip. Cul nu sans sommation.

Exclamations dans le bureau. Je ne peux plus rien faire pour corriger le tir. La situation échappe à tout contrôle. Attirées par les éclats de voix de leurs collègues, les deux aides-soignantes qui n’étaient pas dans le bureau rappliquent.

« Il est si fragile… » Pourtant, les fesses à l’air, il semble plutôt à l’aise. Les femmes protestent :

— Mais rhabillez-vous !

— On n’est pas un service de consultation ! Non mais qu’est-ce que ça veut dire !

— Allez montrer vos fesses ailleurs !

Tibor ne se démonte pas et ajoute :

— Mais ce n’est pas le plus inquiétant ! Regardez, j’en ai aussi sur mon petit pingouin.

Il se retourne et leur exhibe ce qu’Inès prend pour un paratonnerre. Je rêve ou il s’est dessiné des gros boutons multicolores avec des marqueurs ? C’est pour ça qu’il a voulu s’isoler tout à l’heure ! Il y a eu préméditation ! Je suis curieuse d’entendre l’énoncé des faits par le procureur…

Pour que les infirmières voient bien, il tire sur son « petit pingouin ». Cette fois, il y a des cris. Il va falloir fuir. Je me retourne, Léa n’est plus dans sa chambre. Je n’ai même pas vu Louis et Antoine passer.

— Tibor, c’est bon, viens !

Je l’attrape par son pantalon baissé et je le sors du bureau. Je lui souffle :

— On va avoir des problèmes, cours !

Il remonte ses vêtements et se met à cavaler. Je lance :

— Évite les ascenseurs, prends l’escalier !

On dévale les marches quatre à quatre.

— Alors, j’ai été comment ?

— Toi et ton pingouin, vous avez été parfaits.

— J’aurais pu trouver plus raffiné, mais il m’aurait fallu plus de temps !

— Ils sont à qui, les marqueurs que tu as utilisés ?

Les vrais commandos ne doivent pas rire autant que nous.

Загрузка...