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— Tu n’as pas de problème au moins ?

Je panique. Je ne dois surtout pas croiser le regard d’Axel. Quand il cherche mon regard comme maintenant, avec autant d’attention, je rougis, mon cœur fait n’importe quoi et j’ai la certitude que s’il voit mes yeux, il pourra lire jusqu’aux tréfonds de mon âme comme dans un prospectus grand ouvert. Je fais mine de regarder ailleurs et je réponds :

— Non, tout va bien. J’ai simplement mal dormi.

Il semble se contenter de ma réponse et enchaîne :

— Tu n’as rien de prévu jeudi midi ?

— Non, rien. Pourquoi ?

— Je vous invite à manger une pizza chez Sergio. Le resto face au marché.

— Qu’est-ce qui se passe ?

— Grâce à vous tous, j’ai presque fini de réunir la somme pour l’autre salopard. Ça s’arrose !

— Tu ne veux pas attendre d’en avoir complètement terminé avec lui pour fêter l’événement ?

— Les vacances approchent, et je ne te cache pas que j’aimerais assez laisser toute cette embrouille derrière moi. C’est maintenant ou jamais.

— Tu invites aussi Léa ?

— Ça y est, c’est fait. Elle vient.

Il l’a donc invitée avant moi. Au nom de ce qu’elle endure, j’essaie de chasser la jalousie qui pointe.

— Compte sur moi pour être là. Merci pour l’invitation.

— Cool !

Il s’éloigne en me souriant. Je ne peux pas m’empêcher de le regarder. Malédiction, il a dû voir mes yeux. Maintenant, il sait qu’en page trois du prospectus, il y a une grande promo sur les cœurs d’artichaut.

Je cherche Léa. Je la trouve avec Pauline et Vanessa, et elles rigolent tellement qu’elles se tiennent les unes aux autres. C’est surprenant. Si je ne savais pas pour Léa, à la voir ainsi vivante, joyeuse, je n’aurais aucune chance d’imaginer ce qu’elle affronte. Elle donne le change admirablement. Je ne sais pas si je l’admire ou si ça me fait peur. Peut-être qu’une part d’elle-même — pour ne pas dire tout son être — refuse de croire à ce qui la menace et profite de la vie.

Je m’apprête à sortir faire un tour dans la cour lorsque Manon se plante devant moi. Ses cheveux repoussent peu à peu mais j’ai toujours autant de mal à la regarder en face depuis qu’elle m’a rembarrée.

— Camille, puis-je te parler une minute ?

Je devrais peut-être refuser tellement j’ai peur de m’en reprendre une louche, mais vous savez que j’ai du mal à dire non. Elle m’entraîne dehors, cherchant visiblement un endroit à l’écart. Je n’ose même pas lui demander des nouvelles de sa situation familiale. Elle n’est pas plus à l’aise que moi.

— L’autre jour, lorsque tu as parlé de la vente de la maison de mes parents…

— Je sais, je n’aurais pas dû…

— Laisse tomber, tu voulais bien faire.

Elle hésite à me regarder et lâche :

— En fait, j’ai réfléchi à ce que tu m’as dit. Comment tu t’y prendrais ?

— Comment je m’y prendrais pour quoi ?

— Si tu devais empêcher la vente de la maison, qu’est-ce que tu ferais ?

Cette fois, c’est moi qui hésite :

— Je ne sais pas, je ne veux pas…

— Camille, mes parents se comportent comme des gamins. C’est à celui qui sera le plus immature. Ils sont en train de tout massacrer. J’en ai parlé avec mon frère, il est d’accord. Puisque la maison est la seule chose qui les retient encore ensemble, on va essayer de faire échouer la vente. Comment peut-on s’y prendre à ton avis ?

J’accuse le coup. Devant son regard insistant, je m’aventure :

— Pour moi, le meilleur moyen consisterait à décourager les acheteurs. Ce sont tes parents qui font visiter ?

— Ils n’ont même pas le courage d’assumer ça. L’agence accueille les acheteurs le samedi matin, pendant que l’un est au golf et l’autre à son club de sport.

— C’est peut-être notre chance.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

— Tu es prête à y aller franchement ?

— On n’a pas trop le choix, les prochaines visites ont lieu samedi qui vient…

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