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Entre les révisions, la vie au lycée et les visites à Léa, la vie a pris un autre rythme. Tibor et moi sommes les seuls à venir la voir chaque jour. Mardi dernier, Tibor s’est fait hurler dessus par une infirmière parce qu’il avait amené un de ses chiens en cachette. Léa pleurait de rire en me le racontant. Il s’était aménagé une poche de kangourou sous son manteau de clodo et il a remonté le couloir avec son gros ventre qui gigotait. Le chien — un jeune border collie — a fait le fou dans la chambre et ils se sont tout de suite fait repérer. Sans le docteur Nguyen, l’affaire aurait tourné au drame, mais il a calmé le jeu.

Je n’apporte plus les fiches de révisions à Léa. Elle ne veut pas passer les épreuves. Plus personne ne parle de la renvoyer chez elle et je n’ose pas poser la question. En venant la voir, je croise souvent son frère, Julien, qui passe aussi beaucoup de temps avec elle.

Ce matin, je profite d’une matinée libérée pour avancer notre rendez-vous. Comme ça, ce soir, je pourrai sortir avec Axel qui m’a invitée au cinéma. Juste nous deux…

— Salut ma vieille ! Comment te sens-tu aujourd’hui ?

— Camille ? Il est déjà 18 heures ?

Elle a l’air dans les vapes.

— Non, tout juste 10 h 15. Ça va ?

— Pas trop. J’ai passé une nuit horrible.

Elle tente de se redresser. Je l’aide.

— Tu as vu les docteurs ?

Je remets son oreiller en place dans son dos.

— Je crois. Je ne sais plus. J’en vois tellement…

Elle se force à me sourire.

— C’est bien que tu sois là.

Tout à coup, elle s’agrippe à moi et se met à sangloter. Je la serre contre ma poitrine en essayant de la réconforter.

— Calme-toi. Tu nous fais encore une de tes crises.

Elle murmure :

— Non, Camille. Pas cette fois.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

Je me mets à sa hauteur en prenant son visage entre mes mains. Je vois ses yeux. J’y lis quelque chose que je n’avais jamais vu : la peur.

Elle souffle :

— Camille, je vais mourir. Je n’en ai plus pour longtemps. Il n’y aura pas de greffe…

— C’est vraiment la grosse déprime. Tu veux que j’appelle le toubib ?

Elle m’agrippe le bras :

— Non. Ils ne peuvent plus rien. Aide-moi à vivre encore une fois, aide-moi à sortir d’ici.

— Mais je ne peux pas, comment veux-tu que je fasse ? Ce ne serait pas raisonnable…

— Je ne sais pas l’expliquer, mais je sens que tout est en train de lâcher. Quelque chose me dit que je vais vite partir. Je t’en supplie. Si tu m’aimes un peu, ne me laisse pas crever ici…

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