Et pour finir…

Je vous remercie de m’avoir accompagné jusqu’à ces pages. Si cela vous tente, j’aimerais partager avec vous quelques bribes du peu que je suis. Vous confier ma modeste histoire personnelle n’a pas d’autre but que de vous donner — c’est un espoir sincère — la force et l’envie de mieux vivre la vôtre.

La vie m’a enseigné de nombreuses leçons, et la première de toutes est venue très tôt. J’étais né depuis trois heures, à poil, roulé dans un drap, et ce premier enseignement pourrait se résumer ainsi : « On peut te laisser tomber. » J’ai été abandonné à l’entrée d’une chapelle, rue d’Assas, à Paris. Les violons et la pitié sont complètement inutiles, parce que ce qui peut sonner comme un drame larmoyant dans un décor de roman du XIXe siècle m’apparaît aujourd’hui comme ma première grande chance. Six mois plus tard, ceux qui m’ont tout donné sans me connaître — mes seuls vrais parents — m’ont accueilli chez eux et, avec la vie, ils m’ont offert une seconde leçon qui pourrait se résumer ainsi : « De parfaits inconnus peuvent te sauver les fesses. »

Depuis, pétri de ces deux leçons fondatrices, j’observe ce que font les gens et j’espère — comme chacun d’entre nous, je crois — être choisi pour ne jamais être seul. C’est à l’école que l’on se retrouve pour la première fois à choisir et à être choisi. C’est au cours de ces années essentielles que l’on expérimente les premières vraies alliances et les authentiques trahisons. J’y suis arrivé avec un sens aigu de la valeur des rapprochements et, à la lumière des deux premières leçons que la vie m’a données, j’ai pleinement profité de tout — avec une préférence pour le bonheur et la loyauté. Cette période ne m’a jamais quitté.

Deux souvenirs me reviennent : le premier me ramène vers un petit matin brumeux de novembre, sur le stade de Taverny où ma classe et deux autres étaient réunies pour un cours de gym. Le prof a demandé aux deux meilleurs du groupe de constituer leurs équipes pour un foot. Chacun des deux athlètes a choisi à tour de rôle, se jetant sur les éléments les plus valeureux. Inutile de vous dire que je suis parti au moment des soldes ! Je courais vite, mais tout le monde savait que j’étais plus doué pour faire des blagues stupides que pour dribler avec une sphère entièrement fabriquée en peau de vache — ils appellent ça un ballon — que l’on doit absolument envoyer dans une « cage » en corde dont votre pote, qui se comporte soudain comme un chien au bout d’une chaîne, garde jalousement l’accès… Quand les joueurs arrivent à placer cette « sphère » dans cette « cage », ils se mettent dans des états pas possibles, en criant, en s’empilant les uns sur les autres et en oubliant tous les vrais problèmes. J’envie leur insouciance.

À la fin de la constitution des équipes, nous n’étions plus que trois à attendre d’être « adoptés ». Plutôt que de me désoler d’une réalité stratégique qui me reléguait logiquement en fond de classement, j’observais les regards inquiets de mes deux collègues qui, eux non plus, n’avaient pas encore été sélectionnés. J’y lisais de la détresse et une vraie remise en cause. Quand Benoît, notre grand balèze, m’a choisi, je savais qu’il le faisait d’abord par amitié, et je lui ai discrètement fait signe de prendre à ma place Vincent qui, lui, souffrait. Je crois qu’il était important pour lui de ne pas être choisi en dernier. Au final, je suis resté tout seul, sous les regards des filles qui m’aimaient bien mais ne m’admiraient pas. On apprend bien plus tard à faire la différence, et je sais aujourd’hui qu’il vaut mieux être aimé qu’admiré.

Pendant le match, j’ai marqué un but parce que personne ne se méfiait du remplaçant que j’étais. Même moi j’ai été surpris. C’est vous dire à quel point mon plan de jeu était secret ! Du coup, la fois d’après, j’ai été choisi dans les premiers, mais dès les premières minutes du jeu, galvanisé par ma soudaine crédibilité sportive, j’ai shooté dans la sphère en peau de vache tellement fort que je l’ai expédiée dans le jardin du proviseur. Honteux, sous le regard de tous, j’ai voulu aller la récupérer en sautant le grillage avec classe. Je me suis vautré comme un pantin à qui on coupe les fils et me suis cassé le bras. Je vous jure que tout est vrai. J’ai passé des années à chercher un sens à tout ce foutoir.

L’autre souvenir que je souhaite vous raconter s’est déroulé alors que j’étais en première S. De l’avis de nos professeurs, nous étions une classe « joyeuse mais peu courageuse ». Ils avaient raison sur les deux aspects. La rentrée était loin derrière nous et nous formions désormais une assez bonne bande. Un matin, j’ai eu la surprise de voir une des filles les plus gentilles de la classe s’énerver pour une injustice qui ne la concernait même pas. On avait l’habitude de la voir rire, toujours légère, et puis tout à coup, un truc révoltant qui accablait une de ses amies l’a fait sortir de ses gonds. Elle aurait pu affronter la terre entière. J’ai été fasciné par son énergie, son intégrité, son idéalisme, sa puissance. On s’entendait déjà très bien mais, dès ce moment, je l’ai regardée différemment. Nous avons souvent été voisins en cours. Il m’arrivait même de copier sur elle (je m’en fous, il y a prescription !). Plus grave, en me servant de ce qu’elle savait, j’arrivais à avoir de meilleures notes qu’elle (ça la rendait dingue ! Si je vous dis que j’avais honte, vous n’allez pas me croire et vous aurez raison. Pour ce crime-là, il n’y aura jamais prescription…) On est devenus très amis, mais j’ai rapidement espéré davantage. Elle était différente, loin des codes. Elle a eu son bac. On est restés proches. C’était sympa mais franchement, je m’en foutais complètement car j’avais envie de partager bien plus. J’ai l’habitude de voir loin, mais la vie s’acharne à me contrecarrer ! Pascale m’a refusé en mariage au moins deux fois. La première devant un plat de nouilles que j’avais raté et, six mois plus tard, en voiture sous une pluie battante. Deux humiliations complètes, deux râteaux stratosphériques, des traumas à finir sa vie avec un bichon (femelle). Pourtant, je savais que si je la laissais aimer quelqu’un d’autre ou si j’autorisais un autre crétin que moi à s’approcher d’elle, ma vie serait forcément moins bien. Alors je ne lui ai plus laissé le choix. Je prenais un vrai risque parce que Pascale a un sacré caractère et que, quand elle s’énerve, ses yeux tirent des missiles que même l’armée américaine n’a pas les moyens de se payer… À tous mes frères et sœurs humains qui doutent d’eux, je dédie cette pauvre victoire à l’usure. Si j’ai réussi à ne pas finir seul, alors n’importe qui — je dis bien n’importe qui — a sa chance. Nous sommes aujourd’hui mariés depuis vingt-cinq ans, et j’avais bien raison de me dire qu’elle était ma chance. Durant ces années de bonheur, elle m’a appris deux choses fondamentales : il ne faut pas mettre de chaussettes blanches avec un pantalon sombre, et l’amour existe. Il y en a une que j’oublie parfois.

Comme sans doute pour vous, mes années de collège et de lycée ont été déterminantes. On y va pour chercher le savoir, on en repart plus riche de vie. C’est là que j’ai pris conscience de l’importance de choisir et d’être choisi, ou pas. Je n’ai tiré que deux leçons de ces années fabuleuses : « Ne cherche pas à être quelqu’un d’autre que toi-même. Et n’attends pas que l’on décide pour toi. Donne ton avis, toujours sincèrement. » Servez-vous de ces leçons, le plus tôt possible. Vous vous en sortirez mieux que moi.

J’ai eu la chance de traverser ces années en compagnie de vrais amis que, par bonheur, je n’ai pas perdus, voire que je retrouve. Nous avons beaucoup ri, nous avons énormément ressenti et partagé. Il nous est quand même aussi arrivé de travailler ! Je n’ai pas un caractère facile, j’ai des idées débiles à revendre, et vous avez eu la patience de me supporter et de me tendre la main, du bac à sable au bac sans le sable. Je veux ici remercier affectueusement Patrick Basuyau, Christophe Bastian, Céline Escafre-Bellegarde, Sylvie Deschamp-Braut, Marc Devogel, Isabelle Desseroit, Sophie Cheron-Dupuis, François Camus, David Guillemet, Bruno Laurent, Philippe Lavaud, Véronique Lavoisière-Klimczak, Marie Leclève, Bruno Mitton, Marc Monmirel, Philippe Ohanian, Nadine Pozzo-Caramelle, Benoît Schäfer, Carole Cerbelaud-Dubois, Christine Tchimakadze, Catherine Tchimakadze-Fontaine, Élodie Oberlis, Emmanuel Romeu, Sandrine Tallec et Sylvain Vincent. C’est une chance pour moi d’avoir grandi avec vous, et même si le temps nous bouffe tous, l’idée de continuer me réchauffe. Embrassez chaleureusement vos familles pour moi.

Je veux aussi remercier les enseignants qui nous ont autant appris grâce à leur personnalité qu’à travers leurs cours. Je ne sais pas si vous faites le plus beau métier du monde, mais je suis convaincu que vous faites l’un des plus difficiles… Je veux particulièrement saluer Madame Lesec, Monsieur Carmona, Madame Carmona, et Jean-Pierre Chrétien, remarquable enseignant de mathématiques et aujourd’hui ami (comme quoi on peut triompher de ses peurs primaires !). Ceux qui font leur métier comme vous sont une chance inestimable sur la route des nouveaux locataires de ce monde.

Merci à Philippe Duval, chef d’établissement, de m’avoir accueilli trente ans plus tard dans mon lycée — Jacques Prévert à Taverny — dont seuls le carrelage du sol et les états d’âme des élèves n’ont pas changé. C’était la première fois que je passais autant de temps dans le bureau du proviseur et que ça se déroulait aussi bien pour moi ! Un immense merci à Dominique Bourdin, mon prof d’anglais, qui trente ans plus tard fut un remarquable guide là où il nous enseignait sa matière et nous a fait découvrir le théâtre avec une passion communicative.

Merci à toi, Samantha Clément, pour m’avoir parlé d’Inu et Alto, mais surtout pour ta fidélité et ta touchante énergie.

Merci à toi, Marion Lehuraux, mon canari au fond de la mine. Si ça pète, ce sera ta faute.

Merci à mes proches, Annie et Bernard Lecœur, Stéphane et Martine Busson, Sylvie Descombes (à côté de qui j’étais face à Jean-Pierre en maths), Michèle Fontaine (complice depuis la maternelle), Brigitte Gaguèche (méfie-toi des hommes à pattes de chèvre…), Éric Grimois (les gens veulent voir ta photo, tu sais, celle qui guérit par la joie… je vais finir par céder !), Cathy et Christophe Laglbauer, Hélène et Sam Lanjri, Philippe et Gaëlle Leprince, Soizic et Stéphane Motillon, Thomas (10,36 au bac, t’aurais vu ta tête…) et Katia Thuilot.

À toi Chloé, ma toute première lectrice, ne cache jamais ton cœur. À toi Guillaume, mon plus honnête regard. Continuez à m’apprendre ce que vous découvrez et que je n’avais jamais vu.

À toi, Pascale, éperdument. Bravo pour ton bac. Encore pardon d’avoir eu 17 alors que tu n’as eu que 13 en interro, et surtout merci de m’avoir laissé manger ta viande à la cantine. Merci aussi de m’avoir laissé devenir ce que je ne serais pas sans toi.

Merci à mon éditrice, Céline Thoulouze. Faire ce chemin avec toi est une chance. Merci aux équipes d’Univers Poche pour la belle aventure que nous partageons, et particulièrement à Marie-Christine Conchon, François Laurent, Thierry Diaz, Deborah Druba, Valérie Miguel-Kraak, Véronique Noyau-Ferrandez, Sabrina Ananna, Julie Buffaud, Bénédicte Gimenez, Céline Gonzalez, Marine Chiab, Estelle Revelant, Alexandra Wagnon, France Thibault et toutes les équipes qui sont tous les jours sur le terrain.

Je veux aussi remercier les libraires de leur appui, de leur échange et de leur confiance, particulièrement Gérard Collard et son équipe, Valérie Caffier, Danièle Lanoë, Brigitte et Jean-Claude Ternisien, et Julien Tenat.

Je suis heureux de finir par le plus important. Nous avons tous l’honneur de travailler pour toi, lecteur, sans qui nous n’aurions, moi le premier, aucune raison d’exister. Après Demain j’arrête !, beaucoup d’entre vous avez eu la gentillesse de me dire que vous étiez convaincus que c’était une femme qui avait écrit. Après Complètement cramé !, vous avez eu la bonté de me dire que ce livre n’avait pu être imaginé que par un vieux sage. Je ne suis ni l’un ni l’autre. J’espère qu’à la longue, vous vous direz simplement que je ne suis qu’un homme comme beaucoup, mais que j’aime vous regarder, vous comprendre et vous raconter. Vos messages, vos mots, vos regards sont ma plus belle raison d’avancer. Une fois encore, ma vie, comme ce livre, est entre vos mains, et je m’y sens bien. J’ai l’immense chance d’aimer ceux pour qui j’écris, et je sais que ce n’est pas toujours le cas dans ce métier. J’ai l’étrange sentiment de vous connaître lorsque je vous rencontre. Les cyniques ne peuvent pas saisir cette alchimie. Ce n’est pas grave. Je préfère être malheureux comme moi qu’heureux comme eux. Avec vous, le monde est plus humain, et il faut bien ça pour se lever à 3 heures du mat’ !

Je suis déjà pressé d’avoir à nouveau rendez-vous avec vous.

Prenez soin de vous,

Chaleureusement,

P.S. : Vous devriez écouter ou réécouter « You’re Nobody till Somebody Loves You »…

www.gilles-legardinier.com

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