— Tu crois que ça va marcher aussi bien que le coup des meurtres ?
— Regarde donc ce que j’ai apporté dans ce sac…
Manon ouvre l’emballage plastique, en découvre un autre à l’intérieur, puis encore un autre.
— Dis-moi, c’est de l’uranium là-dedans, ou t’avais peur que ça se sauve ?
En apercevant le contenu, elle lâche tout et recule en poussant un cri d’effroi. Heureusement que ça ne casse pas…
— C’est répugnant ! Où as-tu trouvé ces horreurs ?
— Dans les poubelles du labo de science. Et il n’y a plus aucune chance pour que ça se sauve…
Manon est écœurée. Elle secoue la tête pour chasser la vision. Je referme le sac et lui tends une petite boîte hermétique.
— Allez, aide-moi à installer les boules puantes. Il faut en disposer partout. On va aussi en cacher dans le massif, à côté de ta porte d’entrée, comme ça ils seront vite dans l’ambiance. Tu disais que l’agence de la dernière fois a jeté l’éponge ?
— Ouais, du coup, c’est une nouvelle qui fait visiter. La bonne femme était folle, elle a dit à mon père que personne ne voudrait jamais acheter une maison où ont été commis des meurtres. Mon père n’a rien compris, il s’est énervé et il les a jetés. Heureusement, il n’a rien cru de ce qu’elle a raconté. Mon frère a été génial. Lorsque les parents lui ont répété tout ce que la nana avait vu, il a simplement dit : « Ils sont prêts à raconter n’importe quoi pour ne pas faire leur boulot, ceux-là. »
Je casse la première ampoule et verse le liquide dans un pot de yaourt vide. Les effluves de pourri ne tardent pas à se faire sentir.
— C’est vraiment à vomir, commente Manon. Il y a quelques années, un cousin a eu une sale période avec ces cochonneries. Il en mettait partout.
— Va planquer ce pot-là derrière la télé.
En quelques minutes, la maison est truffée de récipients contenant le jus nauséabond. L’air devient vite irrespirable. Il ne reste plus qu’à mettre en place les pièces maîtresses pour parfaire le tableau d’un logement hautement insalubre. J’enfile des gants de ménage…
À l’entrée de la cave, mais aussi sous le meuble de l’entrée, dépassant légèrement ou encore pointant leur petit museau au pied de l’évier, j’ai délicatement posé des souris crevées récupérées après dissection. Manon me regarde faire, l’estomac au bord des lèvres.
— Il va falloir tout désinfecter après, se plaint-elle.
Bruit de moteur dans la rue. Manon vérifie discrètement par la fenêtre.
— Ils arrivent ! On monte. Tu connais le chemin…
— Vu ce que ça pue ici, je suis presque contente d’aller m’enfermer avec les parfums de tes parents.
On se retrouve toutes les deux dans le placard du dressing. Il y a plus de place sans Léo mais c’est moins drôle.
Des voix dans l’entrée. Cette fois, c’est un homme qui fait visiter. À peine les gens ont-ils franchi le seuil que l’on entend des exclamations :
— C’est inacceptable ! s’indigne une autre voix d’homme.
Soudain, un cri perçant, féminin, déchirant.
Petite souris numéro un, repose en paix. Bravo, tu ne seras pas morte en vain.
Ils ne sont même pas entrés. On a entendu la porte se refermer brutalement. Manon a attendu quelques secondes en comptant jusqu’à cinq à voix basse puis elle s’est précipitée aux rideaux pour voir les ex-futurs-acheteurs repartir. Cette fois, en grande pro, elle a pris garde que personne ne la voie.
— Génial. Je pense que cette agence-là va aussi rendre son mandat. Il faut que j’appelle mon frère pour lui raconter ça.
— Avant, tu as intérêt à ramasser les souris et à aérer. J’espère que ça ne sentira plus quand tes parents vont revenir…