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Je n’ai aucune nouvelle, ni de Léa ni d’Axel. Vous devinez certainement dans quel état je suis. À mon retour à la maison, impossible de me concentrer sur mes exos de maths tellement j’avais les yeux rivés sur mon téléphone. Même en rangeant le lave-vaisselle, je ne l’ai pas quitté du regard. J’ai l’impression que Flocon a compris que je n’allais pas fort. Pendant que je faisais mes devoirs à la table du salon, il a sauté sur mes genoux et s’est niché sagement. De temps en temps, il me regardait, et je croyais lire dans ses yeux : « Ne t’en fais pas, je suis là. » Je me raconte sûrement des histoires, mais le fait est que son comportement n’est pas le même que d’habitude. Qu’est-ce qu’ils perçoivent de nous ? Que comprennent-ils ? Zoltan, lui, n’a rien changé. Il m’a fait la fête quand je suis rentrée et m’a suivie jusqu’au placard à gâteaux. Sans doute à cause de mes angoisses, j’avais envie de grignoter. Je ne sais pas pourquoi, mais cette fois-ci j’ai espéré qu’après l’accrochage de l’autre soir, je trouverais des biscuits plus à mon goût. Je soupire en découvrant le contenu du placard. Huile de palme, gras, chocolat au lait hydrogéné, crêpes saturées de sucre, le tout dans un capharnaüm de paquets systématiquement éventrés par mon adorable petit frère. Je referme la porte, dégoûtée. Ma mère me demande :

— Tu n’as pas faim ?

— Si, mais il n’y a pas ce que je veux.

— Tu sais bien que c’est ton père qui fait ces courses-là…

— Justement.

Elle est assise à table en train de faire une commande de surgelés. Je m’assois face à elle, et demande :

— As-tu des nouvelles de Léa par ses parents ? Je n’arrive pas à la joindre.

— Non, rien pour le moment. J’ai laissé un message à Élodie mais elle n’a pas encore répondu. Tu sais, avec le nombre d’examens qu’elle devait passer, pour peu qu’il y ait du retard dans les services, ils peuvent rentrer super tard.

Elle lève les yeux vers moi.

— Tu es inquiète ?

— Forcément.

Je n’ose pas lui dire ce qui est arrivé à Axel. Tout à l’heure, j’enverrai un message à Louis pour savoir s’il a pu le voir. Je lui demanderai aussi de l’embrasser pour moi. Où est-il à cette minute précise ? Est-ce qu’il est en prison ? En interrogatoire ? Je déteste l’idée que quelqu’un s’en prenne à lui. Je serais prête à m’accuser pour qu’il sorte de ce cauchemar.

Lucas descend de sa chambre. Il va directement au placard à gâteaux.

— Ne te gave pas maintenant, lui dit maman. On ne va pas tarder à dîner.

— Pas de problème. Y aura toujours de la place. Il n’est pas encore inventé, le gâteau qui étanchera ma faim.

Je le reprends :

— Qui apaisera ta faim. C’est la soif qu’on étanche.

— Et c’est toi la tanche !

Il attrape une crêpe, qu’il replie et avale en une seule bouchée. Il en prend une autre, qu’il agite sous le nez du chien pour lui faire faire le beau. Zoltan s’exécute en bavant.

— Bon chien, bon chien !

Et les voilà partis tous les deux à se courser autour du canapé. Mon téléphone vibre. Je me précipite dessus. Axel ou Léa ?

Léa. Elle me remercie de mes messages. Elle vient de rentrer, elle est crevée, on s’appelle plus tard dans la soirée pour tout se raconter. Maman m’observe.

— Des nouvelles ? demande-t-elle.

— Léa est rentrée. On se parlera après le repas.

Maman sourit. Ça me rassure. Aussi loin que je me souvienne, chaque fois que je suis inquiète et que je la vois sourire, ça me rassure toujours.


La conversation avec Léa n’a pas duré longtemps. Je lui ai trouvé une voix fatiguée. Elle attend les résultats de ses examens, mais d’autres sont déjà programmés. Elle n’a pas vraiment su m’expliquer de quel genre exactement. Elle semble un peu perdue. Je lui ai raconté ce qui était arrivé à Axel. Elle n’a pas eu l’air de réagir à la mesure de l’événement et a posé peu de questions. Sans doute parce qu’elle est très préoccupée par sa propre santé. Peut-être aussi parce qu’elle regrette de ne pas avoir été celle qui était près d’Axel à ce moment-là. Je n’ai rien dit de ce que Louis m’avait confié. J’en ai presque mauvaise conscience. Je n’ai pas l’habitude de cacher ce que je sais à Léa. J’ai l’impression de la trahir. C’est la première fois.

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