42.

J’aurais dû être apaisé, Seigneur.

J’ai vu le roi s’agenouiller dans la basilique de Saint-Denis et y entendre la messe.

Je l’ai écouté répondre aux questions de l’archevêque de Bourges qui l’interpellait :

— Que demandez-vous ?

— Je demande à être reçu dans le giron de l’Église catholique, apostolique et romaine.

— Le voulez-vous ?

— Oui, je le veux et le désire.

Henri IV était à genoux devant le grand autel, vêtu d’un pourpoint et de chausses de satin et de soie blancs, son manteau noir lui couvrant les épaules et tombant comme une cape autour de lui et son chapeau, noir aussi, posé à ses côtés.

Il se confessa. Il communia et la foule cria : « Vive le roi ! Vive le roi ! »

J’ai galopé à ses côtés jusqu’au sommet de Montmartre dans ce long et rouge crépuscule du 25 juillet 1593.

Il avait donc abjuré.

La paix peu à peu allait régner.


J’aurais dû être heureux, Seigneur.

Je faisais partie des quelques gentilshommes qui se trouvaient, le dimanche 27 février 1594, à droite et à gauche de l’autel, dans la cathédrale de Chartres, cette église vouée à la Vierge noire où allait se célébrer le sacre du roi. Et il était oint d’une huile sainte conservée à Marmoutier, l’abbaye où avait vécu retiré saint Martin, qui avait évangélisé la Gaule près de deux siècles avant que Clovis ne fut sacré à Reims.

L’on n’avait pu choisir pour le sacre de Henri la ville de Saint-Rémi, encore ligueuse.

Mais, à Chartres, le peuple et la noblesse, les évêques et les archevêques étaient rassemblés pour écouter Henri prêter serment, au nom de Jésus-Christ, de maintenir son peuple en paix avec l’Église, et, « en bonne foi, suivant mon pouvoir, de chasser de ma juridiction et terres de ma sujétion tous les hérétiques dénoncés par l’Église ».

J’ai vu la foule se précipiter comme poules sur le grain quand les hérauts d’armes eurent commencé à jeter du haut du jubé des pièces d’or et d’argent.

Le soir, je me retrouvai assis à l’une des trois tables qui réunissaient pour un festin, autour du souverain, les ecclésiastiques, les seigneurs et les princesses.


J’aurais dû être comblé, Seigneur.

J’ai vu le roi s’approcher des malades qui exhibaient leurs écrouelles, et toucher ces plaies purulentes.

Je l’ai vu laver les pieds de treize jeunes et pauvres enfants. Je l’ai vu à nouveau se confesser et communier.


J’aurais dû être joyeux en entendant les cris des Parisiens saluant son entrée dans Paris.

Le gouverneur nous a ouvert les portes de la capitale, les troupes y ont pénétré dans le brouillard de l’aube, ce 22 mars 1594, et à l’exception d’une poignée de lansquenets, de quelques étudiants et d’obstinés ligueurs, sur la rive gauche, entre la place Maubert et le collège de Clermont, personne n’a résisté.

Suivies de quelques reîtres et de ligueurs, les garnisons espagnoles et napolitaines quittèrent Paris, Henri leur offrant la vie et l’honneur saufs.

Je fus près de lui à la fenêtre d’une maison proche de la porte Saint-Denis pour regarder défiler – partir ! – sous une pluie torrentielle ces soldats étrangers ; au milieu d’eux, marchant fièrement, j’ai reconnu Diego de Sarmiento et l’ambassadeur d’Espagne, Rodrigo de Cabezón.

J’ai entendu Henri leur lancer tout en les saluant :

— Recommandez-moi à votre maître, mais n’y revenez plus !


J’aurais dû être heureux, Seigneur.

Ce roi victorieux, catholique, était clément, ne pourchassant aucun ligueur de sa vindicte, interdisant qu’on malmenât cet homme qui ostensiblement avait refusé de se découvrir à son passage.

Je l’ai accompagné lorsqu’il a rendu visite aux reines de la Ligue, les mère et sœur des Guises, Mmes de Montpensier et de Nemours, et j’ai pu mesurer, à leurs minauderies, combien elles désiraient complaire au roi, le flattant, le louant de n’avoir infligé pour tout châtiment que le bannissement pour un peu plus d’une centaine de ligueurs.

Tous les autres venaient de faire acte d’allégeance et recevaient récompense en coffres pleins d’écus, en possessions de villes et de terres.

À ceux de ses proches – Séguret, Jean-Baptiste Colliard, Enguerrand de Mons – qui s’irritaient de cette clémence et de ces ralliements achetés, j’entendais le roi répondre qu’il valait mieux payer que tuer et laisser le peuple dans la guerre.

Mais, pour obtenir cette paix, il en coûta au roi, et donc au royaume, six millions quatre cent soixante-sept mille cinq cent quatre-vingt-seize écus.


J’aurais dû être fier, Seigneur.

J’avais été choisi par le roi pour le représenter devant le pape Clément VIII, et le 17 septembre 1595 je me suis avancé jusqu’au trône pontifical qu’entouraient les ambassadeurs de Savoie, de Ferrare et de Venise, et je me suis agenouillé.

J’ai baissé la tête devant celui qui Vous représente, Seigneur. J’ai imploré l’absolution pour le roi Très Chrétien, disant que seule la parole du souverain pontife pouvait absoudre et que, par ma personne, c’était le roi Henri IV qui la sollicitait.

Alors, avec une verge, Clément VIII a frappé mes épaules, et, lorsque je me suis relevé, Henri, roi de France et de Navarre, quatrième du nom, était réconcilié avec l’Église, absous par le pape.


Je Vous ai remercié, Seigneur, pour cette paix qui semblait désormais possible entre chrétiens.

Et cependant, Seigneur, j’avais avancé, tout au long de ces jours que ma raison trouvait bénéfiques, comme si j’avais marché au bord d’un de ces abîmes que décrit Dante quand il explore l’enfer.

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