16

Pourtant, je n’étais pas toujours de cette humeur. Parfois la passivité de Bartleby m’irritait. Je me sentais étrangement impatient de provoquer un nouveau conflit, de tirer de lui quelque étincelle de colère qui répondît à la mienne propre. Mais autant chercher à faire jaillir une flamme en frottant ses phalanges contre un savon de Marseille.

Un après-midi cependant, l’impulsion mauvaise prit le dessus sur moi et la petite scène suivante se déroula.

Bartleby, quand vous aurez fini de copier ces pièces, je les collationnerai avec vous.

Je préférerais pas.

Comment ? Pour sûr, vous n’entendez pas persister dans cet entêtement de mule ?

Pas de réponse.

Je poussai les battants de la porte et, me tournant vers Dindon et Lagrinche, je m’exclamai :

Bartleby déclare pour la seconde fois qu’il ne veut pas collationner ses pièces. Qu’en pensez-vous, Dindon ?

C’était l’après-midi, notez-le bien. Dindon flamboyait comme un chaudron de cuivre ; sa tête chauve fumait ; ses mains vaguaient parmi ses papiers tachés d’encre.

Ce que j’en pense ? rugit-il. Je pense que je m’en vais tout simplement passer derrière son paravent et lui pocher les yeux !

Ce disant, Dindon sauta sur ses pieds et lança ses bras en avant dans une posture pugilistique.

Asseyez-vous, Dindon. Écoutons ce que va dire Lagrinche. Qu’en pensez-vous, Lagrinche ? Ne serais-je pas en droit de renvoyer immédiatement Bartleby ?

Excusez-moi, monsieur, c’est à vous d’en décider. Je trouve sa conduite tout à fait anormale, et même injuste envers Dindon et moi. Mais ce n’est peut-être qu’une lubie passagère.

Ah ! m’exclamai-je, vous avez singulièrement changé de ton.

C’est la bière, cria Dindon. La douceur est l’effet de la bière. Nous avons déjeuné ensemble aujourd’hui, Lagrinche et moi.

Загрузка...