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Grand soulagement du public, cette arrivée des râleurs ! Depuis un certain temps, le silence dans la salle était à couper au couteau. Chaque spectateur se sentait enfermé dans la folie du notaire. Jusqu’où irait-il ? Ce n’était plus Bartleby le sujet du suspense, c’était lui désormais, le notaire déboussolé. Ses réactions suscitaient des « Ho ! », des « Noooon ! », des « Quand même ! ». À voix étouffée, certes, mais audibles de la scène. La panique du notaire avait gagné les cœurs. Pour extravagante qu’elle parût d’abord, sa décision de déménager fut admise, finalement, comme une solution acceptable. Il n’y avait plus de quoi rire. On comprenait sa terreur de voir Bartleby le rejoindre où qu’il fût. Un grand nombre de spectateurs l’avaient vécue, cette quête étouffante de la solution introuvable. Ils me le disaient à la sortie du théâtre : parents affligés d’un adolescent silencieux, mère d’une fille anorexique, professeurs impuissants devant une classe frappée d’autisme, propriétaires pestant contre des locataires indélogeables, employeur dynamique contre employé amorphe… C’est fou ce que Bartleby faisait « penser à ».

— Tout à fait comme mon fils, vraiment !

— J’ai tout essayé, mais…

Bref, l’arrivée des râleurs offrait un soulagement au public. De courte durée, on s’en doutait bien, mais bon à prendre. On éprouvait la sensation canaille d’avoir refilé la patate chaude à moins compétent que soi. Et, comme les râleurs se présentaient en bande de citoyens outrés, sûrs de leur bon droit et bardés de principes, ils faisaient l’unanimité contre eux. On s’amusait fort de leur embarras. Voyons ce qu’ils allaient en faire, eux, de Bartleby !

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