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Comme je regagnais le corridor, un gros homme viandeux, affublé d’un tablier, m’accosta et me dit en lançant son pouce par-dessus son épaule :

C’est votre ami ?

Oui.

Est-ce qu’il veut mourir de faim ? Si c’est ça qu’il veut, c’est facile ; il n’a qu’à se contenter de l’ordinaire.

Qui êtes-vous ? demandai-je, ne sachant que penser d’une personne qui parlait de façon aussi peu officielle en un tel lieu.

Je suis le marchand de bouffe. Les messieurs qui ont des amis ici me chargent de leur procurer du bon manger.

Est-ce vrai ? demandai-je au geôlier.

Celui-ci fit signe que oui.

Après avoir demandé son nom au marchand de bouffe, je m’approchai avec lui de Bartleby.

Bartleby, voici un ami ; il vous sera fort utile.

Vot’serviteur, monsieur, vot’serviteur, dit le marchand de bouffe, j’espère que l’endroit vous plaît, monsieur ; de beaux terrains… des locaux frais… j’espère que vous resterez quelque temps avec nous, monsieur… je tâcherai de rendre votre séjour agréable. Que désirez-vous pour déjeuner aujourd’hui ?

Je préfère ne pas déjeuner aujourd’hui, dit Bartleby en se détournant. Cela ne m’irait pas. Je n’ai pas l’habitude de déjeuner.

Ce disant, il s’en fut lentement de l’autre côté de la cour et se posta face au mur aveugle.

Comment ça ? dit le marchand de bouffe en me jetant un regard stupéfait. Il est bizarre, non ?

Je crois qu’il a l’esprit un peu dérangé, dis-je tristement.

Dérangé ? Dérangé vraiment ?

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