Donc, le jour où ce jeune chirurgien tua vraiment mon frère, je n’y étais pas. J’étais à Venise. On y donnait dans un théâtre minuscule une représentation d’un monologue que je venais d’écrire. C’est l’histoire d’un patient qui, en une nuit d’hôpital, développe tous les symptômes de toutes les maladies mortelles et que l’ensemble du corps médical s’acharne à sauver dans une débauche spectaculaire de compétences et de rapidité. Ce monologue, gesticulatoire et survolté, était donné à contre-emploi par un vieux comédien parfaitement impassible. Debout immobile à côté d’une civière — qui symbolisait le patient en fusion — il débitait le texte avec une lenteur lagunaire qui faisait rire le public aux larmes. Ils étaient vénitiens, c’était leur langue, c’était leur comédien, ils avaient mille ans d’âge et s’amusaient infiniment du traitement d’escargot que l’acteur faisait subir à la frénésie hospitalière telle que je la décrivais et que la célébraient certains feuilletons télévisés de l’époque.
Comme il aurait aimé ce spectacle, mon frère ! Comme cette burlesque célébration de la lenteur l’aurait amusé, lui que la maladie paralysait peu à peu et qui me disait : « Tu verras, je finirai par vivre à mon rythme. »