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Dans la première mise en scène, les bureaux du notaire étaient symbolisés par des piles de vieux journaux. Un drapé blanc en fond de scène réfractait la lumière, me donnant le public à voir. Je les voyais très bien, tous, dans leurs fauteuils, ce qui faisait de moi le spectateur de la pièce qu’ils me donnaient eux-mêmes, chaque soir semblable et différente. Ils sortaient du travail. Ils venaient s’asseoir ici, dans ce théâtre-ci, à dix-neuf heures, pour écouter une lecture. (C’est ainsi que l’affiche présentait le spectacle : Bartleby d’Herman Melville, lecture-spectacle.) La plupart d’entre eux étaient fatigués. Cela s’entendait dès le brouhaha de leur installation qu’un haut-parleur diffusait dans ma loge. Et, de la scène, cela se voyait. C’était une fatigue de bureaux, de commerces, de professeurs, de médecins, d’employés, de journalistes, de gens qui toute la journée avaient eu affaire à d’autres gens. Et subi les trépidations de la ville. C’était une fatigue parisienne. En province, autre fatigue : je jouais à vingt et une heures, les spectateurs avaient dîné, ils venaient en famille. La digestion parfois endormait les plus âgés. Je prenais garde à ne pas les réveiller tout en veillant à ne pas endormir les autres. Il y a de la confiance à s’assoupir au théâtre. Ce n’est pas un signe d’intérêt passionné pour le texte, certes, mais c’est placer notre sommeil sous la protection d’une voix. Un délice de régression dont j’abuse moi-même assez souvent.

Au premier refus de Bartleby, donc, le public riait. Même si j’atténuais le comique de la situation, l’expression Je préférerais pas opposée à l’ordre impératif d’un employeur amusait les spectateurs. Ils prenaient parti. Peut-être riaient-ils contre les concessions qu’ils avaient eux-mêmes faites à l’autorité, ce jour-là.

I would prefer not to. Moi aussi, d’ailleurs, je trouvais la formule amusante. Pourtant, je connaissais la fin.

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