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Ici, Dieu sait pourquoi, me vient ce souvenir. Nous sommes en 2 CV, Bernard et moi — la 2 CV familiale — , dans la rue de notre village. Il est au volant. Nous avons respectivement quinze et vingt ans. Une Mercedes immatriculée à l’étranger nous barre la route, sans personne au volant. Garée là, tout bonnement, au milieu de la rue. Je pénètre dans la boulangerie voisine pour demander à Albertine, la boulangère, si elle n’en connaîtrait pas le propriétaire. Un énorme type en maillot de bain se fait connaître comme étant le contrevenant recherché. Nous sommes au début de l’été, c’est une masse de chair rose et fumante, à la nuque et aux épaules cramoisies. Dehors d’autres voitures s’agglutinent. Commence le concert des klaxons. J’indique au colosse l’existence d’un parking à vingt mètres de là. Contre toute attente, il entre dans une fureur volcanique, hurlant que nous autres Français n’avons aucun sens de l’hospitalité, antipathiques au possible nous sommes, mais bien contents tout de même d’empocher son argent quand il vient chez nous passer les vacances !

Silence atterré des clients qui n’en mènent pas large. À lui seul, l’ogre nu occupe la moitié de la boutique.

— Non ? Ce n’est pas vrai peut-être ?

C’est alors que s’élève la voix de mon frère, un peu lasse, dans les cliquetis du rideau de perles où vient d’apparaître son maigre visage :

— C’est vrai, monsieur, votre argent nous passionne. Alors, soyez gentil, l’année prochaine restez chez vous et envoyez-nous un chèque.

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