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Je le regardai attentivement et vis que ses yeux avaient un aspect terne et vitreux. Il me vint instantanément à l’esprit que son extraordinaire application à copier devant son obscure fenêtre pendant ses premières semaines à l’étude avait pu affecter temporairement sa vue. Je fus touché. Je prononçai quelques paroles compatissantes, protestant qu’il faisait fort bien de laisser là pour quelque temps toute écriture et le pressant de profiter de l’occasion pour prendre un peu d’exercice au grand air. De ceci, toutefois, il s’abstint.

Les jours passèrent. La vue de Bartleby s’améliorait-elle oui ou non, je n’aurais pu le dire. Selon toute apparence, il me semblait que oui, mais lorsque je lui demandai s’il en était ainsi, il ne daigna pas me répondre. Quoi qu’il en fût, il ne voulait plus faire d’écritures. Et finalement, devant mes sollicitations pressantes, il m’informa qu’il avait définitivement renoncé à la copie.

Quoi ! m’écriai-je. Supposez que vos yeux aillent tout à fait bien, mieux qu’avant, même, ne feriez-vous pas de copie alors ?

J’ai renoncé à la copie, dit-il en se retirant.

Il demeura, comme toujours, l’immuable ornement de mon bureau. Plus immuable encore que devant, s’il était possible. Quel parti prendre ? Il ne voulait rien faire à l’étude : pourquoi fallait-il qu’il restât là ? Pour parler net, il était devenu comme une meule à mon cou.

Cependant, j’étais peiné pour lui. Je reste en deçà de la vérité en disant qu’il m’inspirait de l’inquiétude. Il semblait que Bartleby fût seul, absolument seul au monde. Une épave au milieu de l’Atlantique.

Mais, en fin de compte, les nécessités tyranniques de mes affaires l’emportèrent sur toute autre considération. J’annonçai à Bartleby, aussi poliment que je le pus, qu’il lui faudrait absolument quitter l’étude dans un délai de six jours.

Et quand vous me quitterez, Bartleby, ajoutai-je, je ferai en sorte que vous ne partiez pas tout à fait sans ressources. Six jours à dater de l’heure présente, souvenez-vous-en.

À l’expiration de cette période, je jetai un coup d’œil derrière le paravent : mon Bartleby était toujours là !

Je boutonnai ma jaquette, pris un air décidé, m’avançai vers lui, lui touchai l’épaule et dis :

Le temps est venu ; il faut quitter la place. J’en suis fâché pour vous. Voici de l’argent, mais vous devez partir.

Je préférerais pas, répondit-il sans cesser de me tourner le dos.

Il le faut.

Il demeura silencieux.

Bartleby, dis-je, je vous dois douze dollars ; en voici trente-deux : les vingt dollars de surplus sont à vous. Voulez-vous les prendre ?

Il ne bougea point.

Je les laisserai donc ici, dis-je en mettant les dollars sous un presse-papiers.

Après quoi, prenant ma canne et mon chapeau et me dirigeant vers la porte, je me retournai pour ajouter avec calme :

Quand vous aurez retiré vos affaires de ce bureau, Bartleby, vous fermerez naturellement la porte et vous voudrez bien glisser votre clef sous le paillasson afin que je l’y trouve demain matin. Je ne vous verrai plus. Ainsi donc, adieu. Si par la suite, dans votre nouvelle demeure, je puis vous rendre quelque service, ne manquez pas de m’en aviser par lettre. Adieu, Bartleby, et portez-vous bien.

Il ne répondit pas un mot. Pareil à l’ultime colonne d’un temple en ruine, il restait debout, solitaire et muet, au milieu de la pièce déserte.

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