21

Le calme du mois d’août, cette année, ce n’est pas vraiment pour moi. Ça s’emballe de partout. Je crois que Mme Bergerot va accepter. Elle m’a proposé de venir faire une matinée d’essai, ce dimanche. Du coup, Vanessa me fait carrément la tête. Même si c’est elle qui a décidé de partir, elle se comporte comme si je lui piquais sa place.

Je dors super mal. Je me réveille en sursaut en me posant plein de questions sur ce nouveau travail. J’ai beau savoir que c’est sérieux et que cette décision m’engage, je considère presque l’idée de travailler à la boulangerie comme des vacances. Je crois que je ne vais pas en parler à mes parents tout de suite. Par contre, j’en ai parlé à Sophie, qui a eu le même genre de réaction que celle qu’ils auront sans doute :

— Mais t’es complètement folle ! Boulangère ! Franchement, Julie, l’autre soir tu étais déjà bizarre mais là, c’est le pompon. Ton treizième mois, tes vacances, ta mutuelle, tu y as pensé ? Tu vas bosser le jour de Noël et à chaque fois que les autres feront la fête. Et puis bonjour la stimulation intellectuelle !

— Tu as sûrement raison. Pourtant, tu n’imagines pas comme je me sens mieux à l’idée d’être simplement utile aux gens. Plus question de les coincer, plus question de leur vendre des services à la noix, juste leur proposer des choses qu’ils aiment manger.

Elle n’était pas déçue de mon appel, Sophie, d’autant que ce n’était pas tout ce que j’avais à lui dire. J’ai essayé d’y aller sur la pointe des pieds :

— Qu’est-ce que tu fais demain matin à 8 heures ?

— Pourquoi cette question ?

— Parce que je voudrais bien que tu viennes avec moi.

— Où ça ? Y a aucun magasin d’ouvert aussi tôt.

— Tu n’as rien de prévu ?

— Si, Julie, c’est samedi, je compte dormir. Mais qu’est-ce que tu nous fais en ce moment ?

— J’ai décidé de me remettre à courir et je me suis dit que tu pourrais venir avec moi.

Silence étouffé, puis elle lâche :

— Tu te remets à courir quand l’été est presque fini ? Et à 8 heures du matin ? C’est au printemps que l’on fait ce genre de stupidité, et pas à l’aube !

— Le soleil se lève à 6 h 12, j’ai vérifié. Et puis j’ai trouvé un groupe de filles qui fait ça régulièrement, mais j’ai pas envie d’y aller toute seule. Ça te ferait du bien en plus…

— Alors récapitulons : tu me téléphones pour me dire que tu vas devenir boulangère et que je suis grosse !

— C’est pas ça du tout. Je dirais plutôt que ma vie change et que j’ai envie que ma meilleure amie soit là pour m’accompagner.

« Julie Tournelle, tu es la reine des garces. Cet argument relève de la pure manipulation, voire du coup bas. »

Pour ne pas lui laisser le temps de réagir, j’en rajoute :

— D’ailleurs, Sophie, je te propose aussi que notre prochain dîner de filles ait lieu chez moi.

Nouveau silence. Je crois entendre un bruit, peut-être la mâchoire de Sophie qui est tombée sur son parquet.

— Sophie ?

— Qu’est-ce qui se passe, Julie ? Tu sais que tu peux tout me dire.

— À quel sujet ?

— Ta vie. C’est quoi ce bordel ? D’habitude, quand on a un coup au moral, on change les rideaux ou on va chez le coiffeur. On ne fout pas toute sa vie en l’air.

— Je ne fous pas toute ma vie en l’air. J’arrête un job qui me ronge, je me remets à courir — avec toi j’espère — et je vous invite toutes à dîner. C’est tout.

— Il y a un mec là-dessous.

— S’il y avait un mec, ce n’est pas notre joyeuse bande de célibataires frappadingues que j’inviterais à dîner.

— Ne me prends pas pour Jade. Je te connais et je suis prête à parier qu’il y a un garçon derrière tout ça. La dernière fois, c’était ce débile de Didier et tu m’as traînée à tous ses concerts miteux pendant des mois. Là, qu’est-ce que c’est ? Tu as flashé sur un marathonien et tu veux le rattraper ?

C’est pour ça que je l’aime, Sophie. Comme dirait Xavier, elle en a sous le capot. N’étant plus à une bassesse près, j’ai répondu :

— Tu n’as qu’à venir courir demain matin avec moi et je te raconterai tout !

— Espèce de…

— Merci, ça me fait super plaisir. 7 h 45, en bas de chez moi. Sois à l’heure.

— Non mais…

— Il faut que je te laisse, moi aussi je t’adore. À demain !

J’ai raccroché.

Загрузка...