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Pendant les trois dernières semaines, j’ai l’impression d’avoir vécu et éprouvé plus de choses que durant tout le reste de ma vie. Je suis complètement vidée. Trop d’émotions, trop différentes. J’ai laissé ma baguette à Mme Roudan et je suis redescendue chez moi. J’ai passé la chemise de Ric et j’ai essayé de mettre de l’ordre dans mes idées. L’odeur de brûlé est toujours là. J’ai soigneusement emballé mon ordinateur détruit dans un sac-poubelle en attendant de savoir quoi en faire. Ensuite, j’ai allumé des bougies parfumées. Pour le moment, le mélange jasmin-composants électroniques incendiés n’est pas très agréable…

Sur la table et dans la cuisine s’étalent encore les restes de notre dîner interrompu. Je range tout ou presque. Je n’ai pas envie de laver son assiette et son verre tout de suite. Comme ça, j’ai l’impression qu’il est encore un peu là. J’ai entendu dire que, si on boit dans le verre de quelqu’un, on connaît toutes ses pensées. J’ai bien envie d’essayer. Je saurai enfin ce qu’il pense de moi et ce qu’il fait de tous ces outils bizarres entassés sous son évier. Ce garçon est décidément étrange.

On frappe à la porte. Sûrement Mme Roudan qui a oublié de me dire quelque chose. J’ouvre. Ce n’est pas Mme Roudan. C’est l’homme dont je porte la chemise et qui ne doit jamais me voir débraillée comme je le suis là maintenant.

— Salut.

— Bonjour Ric.

Il désigne sa chemise :

— Elle te va bien. Encore merci pour hier soir. C’était n’importe quoi mais j’ai vraiment passé un super moment.

— Moi aussi.

— Ça va, l’odeur avec ton ordi ?

— Je l’ai enfermé dans un sac, je vais m’en débarrasser.

— Veux-tu que j’essaie de récupérer les données de ton disque dur ?

— Si tu crois que c’est possible, j’aimerais bien, mais tu dois avoir d’autres choses à faire. Il n’y avait rien d’essentiel.

— Je n’ai qu’à l’emporter et je regarderai quand j’aurai un moment.

— C’est gentil.

Il sort un papier de sa poche :

— Tiens, je t’ai noté mon numéro de téléphone portable. Il n’est pas souvent allumé mais on ne sait jamais.

Je m’empresse de prendre le précieux papier et je vais jusqu’à mon bureau pour lui noter le mien. Lorsque je me retourne, je sursaute. Il est là, dans la chambre. Il m’a suivie.

Sur mon lit défait, Toufoufou est à moitié glissé dans son bermuda.

— Te voilà sans ordinateur, comment vas-tu faire ?

— Je dois pouvoir récupérer un vieux portable pour les mails. Pour le reste, tu sais, une boulangère n’a pas souvent de rapports ni de présentations à faire.

— C’est sûr.

— Tu vas courir demain matin ?

— Je vais essayer, mais j’ai des trucs à préparer.

« Des trucs. Il a toujours des trucs à faire, des trucs à voir, des trucs à préparer. Tu ferais mieux d’avoir des trucs à embrasser, à cajoler, à aimer. Je suis un vrai truc, tu sais. »

Il prend mon numéro de portable et se dirige vers la sortie. Il repère tout de suite l’ordinateur emballé.

— Je te dirai dès que j’aurai pu y jeter un œil. À mon avis, il y a moins de 20 % de chances que l’on puisse sauver quelque chose, mais ça vaut toujours le coup de tenter.

De sa main large, il attrape le sac par le dessus et le soulève avec une impressionnante facilité. Et voilà, maintenant je vais rêver de ses mains pendant un bon moment.

On se fait la bise et il s’en va. Je ne réalise pas tout de suite qu’il est parti. Sans doute parce que, surprise par sa visite imprévue, je n’ai pas encore réalisé qu’il était venu. Il va falloir que je dorme parce que sinon je vais vite faire n’importe quoi. Encore plus que d’habitude.

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