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On a passé la fin de la journée à consoler Xavier. Ça s’appelle une tuile. Même en démontant les tôles, ça ne passe pas. Il n’existe que trois solutions : casser la porte de l’immeuble — ce qui est impossible —, tronçonner la voiture — infaisable sans lui infliger des dommages irréversibles — ou la faire évacuer par hélico. On peut aussi invoquer les fées et les farfadets, mais personne n’a proposé l’option. Xavier était tellement en colère contre lui-même qu’on en est même arrivés à se demander si, en se cotisant tous, on ne pouvait pas lui offrir l’hélitreuillage. Ric s’est montré vraiment gentil avec lui et il était prêt à mettre pas mal pour l’évacuation aérienne.

Ce lundi matin, j’ai essayé de lui téléphoner, mais Xavier est sur répondeur. Il a dû passer une nuit épouvantable. J’ai presque honte d’avoir aussi bien dormi. Chaque soir, le monde se divise en deux grandes catégories : ceux qui vont s’endormir comme des marmottes, et les autres qui auront des cernes le lendemain. Chacun son tour, on passe d’un camp à l’autre au gré de nos vies. Pauvre Xavier, cette nuit, c’était son tour de ne pas fermer l’œil.

En me raccompagnant, Ric a laissé entendre que l’on pourrait se voir d’ici quelques jours. Alors, à nouveau, j’attends. Je n’ose pas prendre l’initiative.

Cette fois, j’ai mis les gâteaux pour Mme Roudan dans une boîte en plastique, ainsi les portes de l’ascenseur de l’hôpital ne m’éclateront plus le petit chou — je n’arrive pas à croire que c’est moi qui ai dit ça.

En entrant dans sa chambre d’hôpital, je l’ai trouvée assise sur son lit, vêtue d’une des chemises de nuit que j’avais apportées aux infirmières.

— Bonjour Julie !

Elle semble heureuse de me voir.

— Bonjour madame Roudan. Vous ne regardez pas la télé ?

— C’est ton heure, alors j’ai éteint pour t’attendre.

— Vous avez l’air en pleine forme.

— Je suis contente que tu sois là. Tu as vu ? Ils m’ont donné une belle chemise de nuit. Et des produits de toilette aussi. Il y a même du parfum.

— Tant mieux.

Je vois bien qu’elle m’observe. Pour donner le change, je lui fais admirer ses nouvelles tomates et ses fruits.

— Les petits pois ne vont pas tarder.

— Ils seront pour toi. Les infirmières m’interdisent de plus en plus de choses.

Elle me désigne la perfusion piquée dans son bras.

— Ils disent que ça me fatigue moins l’organisme si je me nourris avec ça. Alors, la boulangerie, comment ça se passe ? Il est revenu, ton méchant client ?

— Il est là tous les jours.

— Il ne faut pas te laisser faire.

— On est dans le commerce, on ne doit rien dire. C’est un client comme un autre.

— Tu peux me croire, les gens vont jusqu’où on les laisse aller.

— Ma grand-mère aurait pu dire ce genre de chose.

— Et avec Ric ?

Je lui ai tout raconté. J’avoue que ça me fait du bien. Je sais qu’elle ne me jugera pas. On s’est bien amusées. On a aussi discuté de son jardin, puis de la rue, du quartier et même du jardin public où elle m’a avoué avoir volé une bonne partie de la terre de son potager. Elle s’est fatiguée plus vite qu’à ma précédente visite. Je n’aime pas ça. Je ne veux pas que ce soit un signe.

Ceux qui disent que l’on ne peut faire qu’une seule chose à la fois racontent des histoires. J’étais en train d’écouter Mme Roudan me parler du jardin public lorsque soudain, ça a fait tilt. J’ai eu un flash, une vision. Ça y est. Je sais comment sortir la voiture de Xavier !

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