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Paradoxalement, même si je viens à peine de débuter dans cet emploi, il m’a déjà sauvé d’un des principaux dangers qui menacent ma vie : l’obsession de Ric.

À force d’être sans arrêt sur la brèche, de voir des gens, d’apprendre, il m’arrive de ne pas penser à lui pendant des minutes entières. En milieu d’après-midi, je vivais une de ces minutes-là. Il n’y avait pas grand monde. Dehors, sur le trottoir, j’aperçois Mohamed qui vient de recevoir une livraison. Il se dépêche de rentrer ses caisses parce que le livreur en a posé une bonne partie devant la boulangerie. Alors si Mme Bergerot s’en aperçoit, elle va encore sortir, et pas pour lui dire bonjour.

Une femme entre avec son fils d’une dizaine d’années. Elle prend des petits fours. Elle a prévu de rendre visite à sa vieille marraine pendant que son garçon ira prendre des cours de maths pour être d’attaque à la rentrée qui approche à grands pas. Le gamin n’a pas l’air ravi du tout, d’autant que dans la rue ils sont nombreux à passer en vélo ou à jouer au foot. Certains, plus âgés, se tiennent par la main et viennent s’acheter des glaces. Le sol réverbère la chaleur du soleil, il y a peu de voitures. Il flotte dans l’air une sorte d’indolence que seul l’été sait offrir. Et c’est alors que Ric fait son entrée. Il est rayonnant.

— Bonjour !

« Tu étais où ? Je t’attends depuis trois jours ! Avec qui tu traînais encore ? »

— Bonjour.

— Je voulais absolument passer te voir pour ton premier jour. J’espère que tu trouveras ici ce que tu cherches.

« Si tu es dans les parages, j’ai ce que je cherche. »

— Merci. C’est vraiment gentil à toi.

Quand il me regarde comme ça, je sens que je fonds comme la glace des petits jeunes qui s’embrassent sur le trottoir d’en face.

— Depuis ce matin, qu’est-ce que tu n’as pas vendu ?

— Pardon ?

— Qu’est-ce que tes clients ne t’ont pas encore demandé ?

— Pourquoi cette question ?

— Pour que tu aies vendu de tout aujourd’hui et que ça te porte bonheur.

Vanessa, qui a toujours une oreille qui traîne, revient de l’arrière-cuisine et me souffle :

— Les bavarois au café. Personne n’en prend jamais. D’ailleurs, ils ne sont certainement pas très frais.

Je regarde Ric :

— On n’a pas vendu un seul bavarois au café…

— Alors je vais t’en prendre un.

— … parce qu’ils ne sont pas…

Mme Bergerot arrive à son tour. Ric déclare d’une voix forte :

— Tu m’as convaincu, je t’en prends deux.

Vanessa regarde Ric comme s’il était complètement idiot. Je m’efforce de ne pas rire mais c’est difficile.

Ric tend un billet à Mme Bergerot puis revient vers moi :

— Tu aimes la musique ?

Quel rapport avec les bavarois ? Qu’est-ce qu’il va bien pouvoir en faire, d’ailleurs ? J’espère qu’il ne compte pas m’inviter à les manger. Quoique, s’il m’invite, je veux bien me satisfaire de deux gâteaux pas frais au café.

— Si j’aime la musique ? Quelle question ! J’adore la musique.

— Ça te dirait de venir avec moi assister à un concert, dimanche prochain ?

Je sais bien que je n’ai pas le droit de sauter de joie dans le magasin mais j’ai du mal à me contrôler. Il m’invite !

— Avec plaisir !

— Un de ces soirs, passe me voir et on s’organisera, d’accord ?

« Un de ces soirs ? Je finis dans 3 heures et 24 minutes, je suis chez toi dans 3 heures et 26 minutes. »

Il précise :

— Disons demain soir, si ça te va, on fêtera mon nouveau ballon d’eau chaude.

— D’accord, à demain.

Il s’en va. Mme Bergerot fronce les sourcils :

— C’est pas le nouveau de ton immeuble ?

— Si.

— Il te regarde d’une façon qui en dit long…

Vanessa lève les yeux au ciel. La patronne me demande :

— Comment as-tu réussi à le convaincre d’acheter les bavarois ? Ne refais jamais ça. Personne n’en prend. C’est Denis qui s’obstine à en faire malgré ce que je lui dis. À cause de ton copain, il va se sentir obligé de continuer…

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