30

L’ambiance change à l’agence. En la quittant maintenant, je vais peut-être manquer la meilleure période qu’elle aura connue. Géraldine est plus sereine. Elle fait ce qu’elle veut de Mortagne et le résultat est spectaculaire. Moins d’accrochages, moins de tensions. Plutôt que de parler à sa plante, Mélanie commence à nous adresser la parole. C’est la fougère qui va faire la tronche.

Ma dernière semaine. Ça me fait bizarre. Tout le monde est gentil avec moi. Pourquoi faut-il attendre que les gens s’en aillent pour chercher à en être proches ? Parce qu’ils vont nous manquer ? Parce qu’il n’y a plus d’enjeux ? Je m’interroge.

À peine assise à mon bureau, le téléphone sonne. C’est Sophie.

— Qu’est-ce que tu fous, j’arrive pas à te joindre ?

— Salut Sophie. Tu sais, je ne vais pas pouvoir te parler longtemps, je suis au travail.

— Tu te moques de moi ? Tu serais bien la première à être débordée dans ta banque, surtout au mois d’août et à quatre jours de la ligne d’arrivée. Alors, comment ça s’est passé avec Ric ?

« On a échappé à un attentat, on a pris une douche ensemble, je me suis roulée dans ses vêtements, il a mangé tout mon salaire, c’est la folie ! »

— Plutôt bien, c’est vraiment un garçon charmant.

— Garde ce genre de phrase pour ta mère. Moi, je veux la vraie version. Qu’est-ce que vous avez fait, il t’a draguée ? Ça y est, vous sortez ensemble ?

J’ai peur de parler. Si quelqu’un dans l’agence m’entendait ? Je mets ma main autour du combiné :

— C’est difficile de parler ici…

— OK, je comprends, tu n’as qu’à répondre par oui ou par non. Vous avez fait l’amour ?

— Non.

— Il est gay ?

« Ce serait le drame de ma vie et je deviendrais bonne sœur. »

— Je ne crois pas.

— Il a au moins été gentil avec toi ?

— Oui.

— C’est vraiment génial de discuter avec toi. Pas de doute, tu es ma meilleure amie ! Et tes parents, tu leur as enfin parlé de ta reconversion ?

— Une ancienne voisine leur avait déjà vendu la mèche.

— Comment ont-ils réagi ?

— Mieux que je ne l’avais craint. Ils étaient tellement surpris que c’est passé comme une lettre à la poste. Je crois qu’en plus ils sont préoccupés par la santé de mon père.

— Sérieux ?

— Il a des examens la semaine prochaine.

— Et ton nouveau job ?

— La bonne nouvelle, c’est que je vais démarrer à mi-temps jusqu’à ce que Vanessa, l’autre vendeuse, s’en aille. Et tiens-toi bien, je vais gagner autant qu’ici.

— Contente pour toi. Dans cette avalanche de bonnes nouvelles, j’en ai une supplémentaire. Le prochain dîner de filles aura lieu chez Maude. On sera trop nombreuses pour ton petit appartement, alors comme c’est elle qui a le plus grand, on a vu ça ensemble et elle est d’accord. Ne me dis pas que tu es déçue, maintenant que tu as fait ton premier dîner avec Ric, tu n’as plus besoin de cobayes… Tu t’occupes des boissons.

— D’accord.

— Et n’espère pas t’en sortir sans rien raconter. Ça fait des années qu’on se moque des histoires de tout le monde, y compris des nôtres, alors tu n’y échapperas pas. Je te laisse, bisous !

Загрузка...