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La rumeur de la fête s’estompe. C’est maintenant le chant des oiseaux que l’on entend le plus. Dans un ballet lancinant, les plus hautes branches des arbres dansent à l’unisson sous le souffle léger du vent. Au sol, les taches de lumière composent des figures sans cesse changeantes. Comme c’est romantique, le mariage des autres… Ric et moi marchons côte à côte, silencieux, mais cette fois je sais que ça ne durera pas. Chacun savoure, chacun accomplit le voyage intérieur jusqu’à l’autre.

Le long du fossé qui borde le chemin, un immense tronc est couché.

— Veux-tu t’asseoir un moment ? me propose Ric.

— Avec plaisir.

Je m’installe en prenant garde que ma robe tombe joliment. Il prend place sans faire attention à rien.

Les feuilles qui bruissent, la lumière, les rires qui parfois s’échappent du mariage. Un moment suspendu hors du temps. Je ne vais rien dire. Je vais le laisser décider du moment où il aura envie de parler. Il est libre.

— Julie ?

— Oui, Ric.

— Est-ce que tu envisagerais de vivre ailleurs qu’ici ?

Je souris innocemment :

— Il faudra bien sortir des bois pour aller chercher de quoi manger, à moins que tu ne te mettes à chasser. Mais pourquoi pas ? On pourrait se construire une cabane dans les arbres. J’ai entendu dire que l’écureuil cuit avait le goût du lapin.

— Julie, je suis sérieux.

« Je sais bien que tu ne parles pas de la forêt, mais de quitter la ville. Mais je ne peux pas répondre sérieusement, ta question m’inquiète. Qu’est-ce que ça cache ? »

Il insiste :

— Quand je te regarde chez toi, à la boulangerie, avec tes amies, je crois que tu es à ta place. Est-ce que tu crois que tu pourrais être heureuse ailleurs ?

— Tout dépend de l’endroit. Tout dépend surtout avec qui. Tu as une idée du lieu ?

— Non, je me posais simplement la question, comme ça…

— Et toi ? Où te sens-tu le plus chez toi ? Je ne sais même pas où tu as grandi.

— Tu as raison. Je ne parle pas beaucoup de moi. Un jour, il faudra que je te raconte.

— J’ai parlé de toi à mes parents.

À peine ces mots prononcés, je redoute d’avoir été maladroite. Je suis allée trop loin. À l’évocation de mes parents, il va inévitablement penser à une présentation, il va craindre l’engagement, il va fuir. Reviens, Ric, ils ne sont pas en train de creuser la piscine pour nos petits !

Il laisse s’égrener de longues secondes :

— Cela me touche que tu leur aies parlé de moi…

Je ne comprends rien aux hommes. Rien du tout. Mais quelle importance ? Tout ce que je souhaite, c’est pouvoir aimer celui qui est près de moi. J’ose m’aventurer sur un terrain sensible :

— Et toi, tes parents ?

Je ne le quitte pas des yeux. Sa réponse sera décisive. Soudain, un cri. Puis un autre. Ça vient du mariage. Des hurlements. Aucun doute, il ne s’agit ni de rires, ni de manifestations de joie.

— Tu as entendu ? me demande Ric.

Je hoche la tête. Je suis dégoûtée. Pour deux raisons. La première, c’est que cette interruption lui permet d’échapper à ma question. La seconde, c’est qu’au fond de moi j’ai déjà l’intime certitude que Jade est étroitement liée aux hurlements qui se multiplient.

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