Samedi soir. H — 1. À ce stade, je suis convaincue que c’est le truc le plus dingue et le plus idiot que j’aie fait de toute ma vie. Pour l’ultime veillée d’armes, l’équipe mange un morceau chez Xavier, juste avant de passer à l’action. Même s’ils ne font jamais ça dans les films de guerre, j’ai apporté des gâteaux. Drôle d’atmosphère. Beaucoup des membres du commando XAV-1 ne se connaissaient pas.
Xavier montre à Sophie comment se servir du talkie-walkie. Ric répète une dernière fois les étapes avec le collègue pendant que Jean-Michel se concentre, en équilibre sur une chaise dans une position impossible. Il a mis son bandeau de combat. Sonia le dévore des yeux.
Xavier termine le briefing de Sophie. Elle me rejoint :
— J’arrive pas à croire que c’est toi qui as imaginé ce plan tordu.
— Comment dois-je le prendre ?
— Je te préviens, si on se fait piquer, je dis que vous m’avez droguée.
— T’auras qu’à leur chanter quelque chose, n’importe quoi. Ils te croiront.
— C’est cruel.
— Tu es prête ?
— Tu réalises ce que tu es en train de faire ?
— Non, j’ai programmé la prise de conscience pour dans deux heures.
Je me lève :
— Les gars, il est l’heure.
« Mon Dieu, quelle réplique pourrie. J’ai trop regardé de séries… »
La nuit est presque tombée. Tout est calme.
— Équipe Radar, tout le monde est en place ?
— Surveillance immeuble : en place. Aucun problème.
— Surveillance jardin public : en place. Aucun problème en vue.
— Surveillance rue : auf…, nit… rut… zingal.
— Sophie, si tu veux qu’on te comprenne, il faut garder le bouton appuyé.
— Quelle quiche je fais !
— Voilà, comme ça, c’est parfait, tout le monde t’a entendue. Équipe Boulon, en place ?
— Parés.
Xavier inspire et expire régulièrement pour essayer de se détendre. On a l’impression qu’il va jouer sa vie. Je suis avec lui dans le garage. C’est nous qui allons donner le top départ. Le mur a été entièrement abattu, on voit la palissade. Dès que le passage sera ouvert, il se met au volant de XAV-1 et démarre.
Il me prend le talkie :
— Attention au top, on lance l’opération.
— Négatif, négatif ! intervient Sophie. Promeneurs en approche. Mais qu’est-ce qu’ils foutent ?
— Prévenez-nous dès qu’ils seront partis, répond Xavier de plus en plus sous pression.
Les secondes sont interminables. Si l’un de nous se fait capturer, ils vont le torturer jusqu’à ce qu’il donne les noms de ses complices. Moi, je ne balancerai jamais Ric. Ils pourront faire pression en s’en prenant à Jade, je ne lâcherai rien. Plutôt mourir.
Le talkie grésille. La voix de Sophie :
— Ils sont partis, la voie est libre.
— Si c’est clean pour tout le monde, on lance.
Tous confirment.
— Alors top départ, mes amis !
À la seconde, on entend les visseuses de Jean-Michel et de Ric qui entrent en action. En moins de trois minutes, ils ont eu le premier panneau. Le tiers du passage est ouvert. Je traverse côté jardin public pour prêter main-forte au collègue, Nathan, et déplacer les éléments. Pendant que le ninja dévisse, Ric s’attaque déjà aux poteaux. Il ordonne :
— Xavier, mets-toi au volant et tiens-toi prêt à démarrer.
Un chat débouche d’un fourré et nous regarde. Je le fixe :
— Toi, si tu parles, je te jure, je t’épile…
— Qu’est-ce que tu fabriques, Julie ? Aide-moi plutôt à virer le deuxième panneau.
Jean-Michel semble avoir des difficultés avec les dernières vis. Il insiste.
— Ne force pas, lui glisse Ric, tu vas foirer les têtes.
Hurlement de la visseuse dans la nuit. Trop tard.
— Merde, la vis est foutue !
Jean-Michel nous regarde et réfléchit :
— On ne peut pas arrêter maintenant, à deux vis du dernier panneau. Que les esprits des combattants nous guident !
« On est morts. Je suis folle de les avoir entraînés là-dedans. On est une bande de bras cassés, des vrais malades. »
Xavier s’inquiète. Ric le renvoie dans son bolide. Soudain, Jean-Michel pousse un petit cri ridicule et fait un bond en donnant un grand coup de pied dans le dernier point d’accroche. Il retombe comme un flan mal démoulé sur un carrelage. La palissade a gagné le round.
— Saloperie ! hulule-t-il, je me suis niqué le pied !
Ric n’hésite pas une seconde, il fonce dans le garage, cherche dans les outils et ressort avec un pied-de-biche.
— Tant pis, on va péter les vis.
Il fait levier et arrache le dernier panneau. Jean-Michel se traîne sur le côté et on déplace la plaque.
— Xavier, démarre et fous le camp !
Au moment où il tourne la clé, le pot d’échappement crache un énorme nuage noir. N’ayez aucune crainte pour l’environnement, parce que Jean-Michel en a respiré la plus grande partie. Six ans de tabagisme passif en moins d’une seconde. C’est vraiment un héros.
Tous feux éteints, XAV-1 roule lentement vers nous en marche arrière. Même moi je trouve que le moteur fait un bruit magnifique. Ric le guide.
L’engin recule encore, amorce une courbe pour se placer dans le bon sens sur l’allée. Xavier baisse la vitre :
— Ça va aller ?
— Tout roule, sauve-toi. On se retrouve chez toi.
Ric prend le talkie :
— Surveillance zone sud et grilles, convergez vers l’entrée, XAV-1 arrive.
Xavier démarre et, dans la nuit, son énorme bolide sombre glisse entre les massifs de fleurs en prenant toute la largeur de l’allée.
Ric ne perd pas de temps :
— Jean-Michel, tu vas te mettre à l’abri dans le garage, je vais tout remonter avec Nathan. Julie, va avec lui et commence à le soigner.
— Vous allez y arriver tous les deux ?
— T’inquiète pas. Il n’y a qu’à revisser.
Il me raccompagne et, avec Nathan, referme un panneau derrière moi. Il est là, de l’autre côté de la palissade, à s’affairer en silence.
Jean-Michel se tord de douleur.
— Appuie-toi sur moi, on monte chez Xavier voir ce que tu as.