En avance sur leur biographie

Gary Cooper : « Ce qui était délicieux chez Jean (Seberg), c’est qu’elle avait appris à être une star avant de devenir une actrice », cité par Ariane Chemin, Mariage en douce.

Il existe, en effet, de rares personnes qui donnent l’image de leur réussite avant d’en avoir fourni les justifications. Par une sorte de grâce ou de génie, elles anticipent par leur comportement un statut qui est encore loin d’être le leur. Elles donnent des preuves de ce qu’elles seront alors qu’elles sont occupées, sans être assurées d’y parvenir, à légitimer les espoirs mis en elles et à obtenir la position qui les conduira à celle à laquelle elles paraissent être déjà parvenues.

Charles de Gaulle en est l’exemple le plus éclatant. Lieutenant, il était déjà général. Autoproclamé à Londres chef de la France libre, il gagnait l’histoire de vitesse, s’assurant la première place dans le défilé de la victoire sur les Champs-Élysées. Pas encore élu, il possédait depuis longtemps la voix et les gestes du président de la République. Encore vivant, il était promis pour la postérité au plus élevé, la place de l’Étoile et un aéroport. De Gaulle allait plus vite que sa biographie.

Mari de Jean Seberg, Romain Gary était aussi en avance sur sa destinée. Il est vrai qu’il était de son devoir filial d’attester les prophéties de sa mère juive, convaincue qu’il ferait honneur à la France comme écrivain et diplomate. Premier prix de composition française du lycée de Nice, c’était autant de joie et de fierté pour un petit Slave émigré que s’il avait reçu le prix Goncourt. Il l’obtiendra deux fois. Avec son physique d’acteur américain et ses aventures héroïques dans des bombardiers au-dessus de l’Allemagne nazie, il avait joué sa peau, et son avenir à Los Angeles où l’attendait le rôle de consul général de France. Bon joueur d’échecs, Romain Gary savait anticiper.

De même Colette a toujours eu un coup d’avance. Sa réputation d’écrivain était établie alors qu’elle n’était que le nègre de Willy. Deuxième femme à entrer à l’académie Goncourt, entourée de neuf écrivains barbus ou moustachus, d’emblée elle avait eu le prestige, l’autorité et l’influence d’une présidente. Elle le deviendra quatre ans plus tard. La circulation assumée de son corps du lit des hommes au lit des femmes continue à donner d’elle l’image d’une femme libre. Colette ou les talents annonciateurs.

Mais sa fin de vie fut douloureuse et pénible. Plutôt qu’immobilisée par une polyarthrite, il aurait été plus conforme à sa charnelle nature qu’elle tirât sa révérence, d’une traite, sous les marronniers du Palais-Royal.

Charles de Gaulle ne pouvait pas finir, lui, dans un lit, rongé de l’intérieur, prolongé par des amputations ou de la chimiothérapie. Nous savions tous qu’il mourrait tel un chêne qu’on abat, métaphore de Victor Hugo reprise par André Malraux. La légende gaullienne exigeait qu’il partît vivant, terrassé par le fatum et non par la maladie.

La plupart d’entre nous n’ont pas cette chance. Nombreux sont ceux qui portent leur fin sur leur visage. Ils affichent l’inéluctable. Déjà ils nous préparent au deuil. « Le corps de mon père avait été pris par la maladie, couturé, marqué, mangé par elle ; mort avant la mort », Marie-Hélène Lafon, Histoires.

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