Cher petit

De Simone de Beauvoir à Jean-Paul Sartre : « Je vous aimais tant dans ce petit train hier ; vous savez, vous êtes si gentil, cher petit être, vous êtes bien plus qu’assez gentil, vous êtes le plus gentil des petits et je suis tout heureuse avec vous », Lettres à Sartre, 13 juillet 1939.

On n’a pas tort de dire que l’amour rend un peu bébête même les personnes les plus intelligentes du monde. Il est en même temps sympathique de constater que Simone de Beauvoir, amoureuse, pouvait se laisser aller à des nunucheries semblables aux nôtres. Ça rassure. Ce qui frappe et étonne à la lecture des 321 longues lettres qu’elle a écrites à Sartre de 1930 à 1963, c’est, entre autres, l’emploi immodéré de l’adjectif « petit » : « Tout cher petit être… À bientôt, mon doux petit mari… J’embrasse tout votre cher petit visage… Au revoir, petit être bien-aimé… Je vous embrasse, mon doux petit… Je vous embrasse tout passionnément, tout petit charme, petit tout charme petit charme tout… Ma chère petite âme… Je vous aime, mon petit… »

Sartre n’étant pas grand, « votre charmante Castor » — ainsi signait-elle ses lettres — ne se moquait pas de sa taille. Ses « petit », tous très affectueux, s’inscrivaient sur le même registre sentimental que les « petit cœur », « petit canard », « petit poussin », « petit bandit », etc., du populaire.

Ce « petit » amoureux et intime est-il utilisé pour des hommes et des femmes de haute futaie ? Yvonne de Gaulle a-t-elle appelé son grand Charles « mon petit lieutenant » ou « mon petit oiseau » ? Patrick Modiano a-t-il reçu dans sa jeunesse des « mon petit chat » ou des « mon petit corsaire » ? Je ne le crois pas. À partir de quelle taille le langage amoureux renonce-t-il au cher « petit » ?

Avec mes 170 centimètres — 1,69 mètre sur mon livret militaire, j’étais fou de rage —, j’ai eu droit à ma ration de « petit ». Mon préféré : « petit nuage ». Il est en effet sage de mêler la météorologie à l’amour.

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