Duras n’aimait pas Colette

Ce n’est pas parce que leurs écritures étaient aux antipodes l’une de l’autre que Marguerite Duras n’aimait pas Colette. Les écrivains fondent souvent leur estime, voire leur amitié, sur des différences plus que sur des ressemblances qui peuvent agacer. Duras détestait Colette. Je l’appris durant notre unique conversation téléphonique qui précéda notre Apostrophes, en direct, le 29 septembre 1984.

Encore réticente à l’idée de paraître à la télévision qu’à l’époque elle abominait, mais flattée par ma proposition de tête-à-tête, elle me demanda avec qui je m’étais déjà risqué dans cet exercice.

« Jouhandeau, Nabokov, Simenon, Albert Cohen…

— Des femmes ?

— Marguerite Yourcenar, la seule… »

Silence.

« Mettons que vous invitiez des femmes d’autrefois, des écrivains, bien sûr…

— Louise Labé… Germaine de Staël… Colette… »

Silence.

« Ah, Colette ! Vraiment ? »

Le ton était ironique. J’avais commis une gaffe. On m’avait dit que Duras était très soupe au lait. Qu’un rien pouvait la fâcher. Ce n’était pas rien, Colette. Pour Duras, si.

« Colette, je vous l’abandonne », me dit-elle, me tirant de mon embarras.

Trente ans après, dans Le Livre dit (2014), entretiens enregistrés, en 1981, à Trouville pendant le tournage d’Agatha, Marguerite Duras parle du féminisme des hommes. Tout à coup, elle s’en prend à Colette : « Les hommes sont féminins comme on l’était en 1910 ; tandis que nous sommes féminines en 1981 ; ce n’est pas du tout pareil. Ils sont féminins comme Colette. Qu’est-ce que tu as à en foutre et moi aussi de Colette ? On n’a rien à en faire, du tout. C’est-à-dire, c’est eux qui la remettent à la mode. »

Une note de l’éditrice du livre, Joëlle Pagès-Pindon, révèle pourquoi Duras, qui n’appréciait ni les romans ni les articles ni le féminisme de Colette, lui manifestait autant d’hostilité. En 1964, critique littéraire au Monde, Jacqueline Piatier avait fait un parallèle entre ces deux championnes de la littérature : « Comme Duras est loin de Colette, de sa santé, de son équilibre, de sa lucidité, de son goût de la vie, des êtres, de la nature ! » On imagine combien cette comparaison avait encoléré Duras. Elle n’a pas pardonné à la journaliste « et son dédain pour l’œuvre de Colette s’en est trouvé fortifié ».

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