Vite, vite, donnez-moi du temps…

Balzac à madame Hanska : « Vous me demandez comment je puis trouver le temps de vous écrire ! (…) Eh bien, vous seule vous êtes demandé si un pauvre artiste, à qui le temps manque, ne faisait pas des sacrifices immenses en pensant, en écrivant à celle qu’il aime », lettre du 9 septembre 1833.

Pas plus qu’un ministre, un médecin ou un cuisinier, l’artiste ne fait des sacrifices quand il écrit ou téléphone à sa bien-aimée. Balzac était fou de sa Polonaise et il jugeait plus urgent de lui adresser des pages enflammées que de reprendre le manuscrit auquel il était attelé. L’amoureux n’est pas un procrastinateur. Priorité absolue à l’objet de sa passion. Le reste n’est ni supprimé ni bâclé, mais passe après. Ou se cale dans les brèches d’une journée bien remplie.

L’écrivain est maître de son emploi du temps, mais pas le ministre, le médecin, le cuisinier ou le journaliste. Ils ont des obligations, des rendez-vous, des horaires à respecter. Alors ils apprennent à profiter ici d’une annulation, là d’une disponibilité fortuite. Ils rusent, ils accélèrent, ils mordent sur la durée. Ils disent : donnez-moi deux minutes, et ils envoient un texto. Les textos ont dû être inventés par un homme dont la maîtresse était très surveillée. Ou par un amant aux éjaculations courtes mais répétées.

Quant aux concepteurs du téléphone portable, si un prix Nobel de l’amour existait, ils le recevraient chaque année. On n’échange plus de lettres passionnées ; on se parle interminablement au téléphone. Au café, dans le taxi, à l’aéroport, en marchant, sur un banc, sous un parapluie, sous une tonnelle, sous les étoiles. À son domicile, aussi, quand on peut. Orange et Bouygues sont les entremetteurs de Vénus et Cupidon. Ils devraient proposer des forfaits pour nouveaux couples et couples illégitimes.

On trouve toujours le temps d’aimer. Voyez ce chef d’une entreprise du CAC 40. Cent mille employés dans le monde, des réunions qui parfois se chevauchent, des conseils d’administration, des rendez-vous avec des sommités de la politique, de la banque, de l’industrie et du commerce, des déjeuners ou des dîners d’affaires, des voyages en Amérique et en Asie, des lectures toujours urgentes de rapports, de bilans, d’études, de projets, des réflexions à mener, des décisions à prendre. À cela, ajoutez une femme, cinq enfants de deux mariages, trois heures de golf le samedi matin quand il est à Paris. Eh bien, il arrive quand même à dégager quelques heures par-ci par-là pour honorer une maîtresse de sa coruscante virilité.

On croit les présidents de la République submergés, étouffés, ligotés par leurs immenses responsabilités, à la recherche d’un peu de temps pour réfléchir. Et on apprend qu’au volant d’une voiture ou sur le tansad d’une motocyclette, ils reviennent le matin d’escapades sexuelles, des miettes de croissant sur leur veste.

Quelles que soient les contraintes de son existence, qui aime et est aimé(e) sait se faufiler dans le labyrinthe du temps. C’est une règle universelle.

Quand il ou elle commence à dire : je n’ai pas eu le temps de t’appeler ; je n’ai pas le temps de rester ; je n’aurai pas de temps pour toi cette semaine, c’est que la passion ne mérite plus ce nom-là.

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