Un peu de snobisme

Marcel Proust : « Sa haine des snobs découlait de son snobisme, mais faisait croire aux naïfs, c’est-à-dire à tout le monde, qu’il en était exempt », Le Côté de Guermantes.

Ce n’est pas parce qu’il portait un nœud papillon que Jean-Jacques Brochier — qui dirigea pendant trente-cinq ans Le Magazine littéraire — était considéré comme un snob par ses camarades lyonnais. Dans la classe de philo du lycée Ampère, ils étaient seulement deux élèves à avoir lu Proust et Sartre. Ils en avaient lu suffisamment, en particulier L’Être et le Néant, pour en parler savamment avec le professeur. Comme les autres, j’écoutais bouche bée. Admiratif. Surtout jaloux. Nous nous vengions bêtement en les traitant de snobs. À nos yeux, Jean-Jacques Brochier le paraissait un peu plus que l’autre à cause de son nœud papillon.

Grâce à une crise de rhumatisme articulaire infectieux, puis à une appendicite, j’ai pu me lancer à la recherche du temps perdu, celui de Proust et le mien. C’était à mon tour de paraître snob à mes visiteurs. J’y trouvais de l’agrément et de la fierté. J’étais enfin passé de l’autre côté, dans le camp de ceux qui avaient lu Proust et qui, après un temps d’apprivoisement à son style, avaient jubilé de fréquenter une société aussi raffinée, complexe, cultivée, bavarde, amusante et snob.

C’est d’ailleurs l’abondance et le snobisme de ses « duchesses », ainsi que l’image de Proust, chroniqueur mondain au Figaro, qui avaient conduit André Gide à conseiller à Gaston Gallimard de ne pas éditer Du côté de chez Swann. Conscient de son erreur, que dis-je, de son crime, il enverra plus tard une lettre de repentance à sa victime triomphante.

Je n’ai jamais pu me défaire de cette idée stupide que Proust, quels que soient son génie et son universalité, nantit qui le cite ou s’y réfère d’une image de snob. Et pour ne pas moi-même me la coller, j’ai renoncé à des rapprochements avec Swann, Odette, Charlus, les Guermantes, madame Verdurin ou Céleste Albaret qui, parfois, me venaient sous la plume. Il y a probablement là un « complexe de classe » : issu d’un milieu tellement éloigné de la société proustienne, j’ai du mal à en paraître, non le familier, réservons cet honneur aux proustiens, mais le simple visiteur. Ce décalage social de lecteur à écrivain, je ne le ressens qu’avec Proust. Serait-ce ce qu’on pourrait appeler du snobisme à l’envers ?

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