Peut-être

André Gide : « Je n’écris plus une phrase affirmative sans être tenté d’y ajouter : “peut-être” », Journal, 19 juillet 1941.

La date est importante, non à cause de la guerre, mais parce que André Gide a soixante-douze ans. Avec l’âge, il est de moins en moins sûr de ses idées et de ses sentiments, les certitudes l’abandonnent, le doute l’envahit. Les déceptions politiques se sont accumulées. La débâcle de l’armée française ajoutait sûrement à son pessimisme foncier. Mais c’est surtout l’âge qui le contraignait à ne plus être affirmatif, carré, sans réserve, comme il l’avait été souvent durant l’essentiel de sa vie.

La jeunesse ne s’embarrasse pas de peut-être. Pourquoi prendre cette précaution ? On dit ou on ne dit pas. On est catégorique, voire péremptoire. Une restriction paraît être une indécision, un scrupule une faiblesse. Les peut-être, probablement, vraisemblablement, éventuellement relèvent de la sagesse. Est-on sage à vingt, trente ou quarante ans ? À soixante-douze ans, oui, c’est bien, c’est mieux.

J’ai fait l’inverse. (Je n’ai pas écrit : j’ai peut-être fait l’inverse.) Ma jeunesse a été encombrée de doutes et d’incertitudes. J’affirmais d’autant moins mes idées qu’elles me paraissaient aléatoires. Un beau parleur me faisait changer d’avis. Mes sentiments étaient plus fermes, soumis cependant à des cycles météorologiques. Tous mes peut-être ne découlaient pas, hélas, d’une sagesse précoce, mais d’un manque de confiance et, peut-être, de courage.

Avec l’âge, me voilà moins prudent, moins influençable, plus assuré. Non que les peut-être aient déserté ma conversation, mais ils sont beaucoup moins nombreux, et quand ils se pointent sous ma plume ou sur l’ordinateur, je leur demande de justifier leur présence. En biffer est-il un manque de sagesse ?

Il y a aussi que, plus le temps passe, plus je me rapproche du seul jour de la vie, le dernier, d’où sont exclues l’hésitation, la réserve, l’éventualité ou l’exception du peut-être.

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