Accor, accordé, accordéon

Francis Carco : « L’orchestre, composé d’un seul musicien qui jouait de l’accordéon… », L’Équipe.

« Remonte tes chaussettes, me disait ma mère. Elles sont en accordéon. » Les chaussettes en accordéon est la première métaphore qui m’a fait comprendre que, par souci de clarté, on pouvait associer deux mots sans rapport l’un avec l’autre. Il y eut aussi les cheveux en broussaille et, après un coup de soleil, le nez comme une tomate.

Comparer des chaussettes plissées, affalées sur les chevilles, à un accordéon dont le soufflet se tend et se replie, me parut malin. Comme la plupart des enfants du village, je me glissais dans les bals des conscrits et du 14-Juillet. À l’exemple du bal de la rue Dénoyez, dans le quartier parisien de Belleville, où Carco faisait valser les personnages de son roman, un accordéoniste constituait l’orchestre à lui seul. Il jouait surtout des valses musettes. Les robes des femmes s’envolaient devant nos yeux ébaubis. L’accordéon me parut être une boîte magique. Son prestige ne pâtissait pas d’être associé à des chaussettes reprisées.

Quand je lus Francis Carco et Pierre Mac Orlan, je découvris que, comme les rats de La Fontaine, il existe deux sortes d’accordéons : les accordéons des villes et les accordéons des champs. Plus une troisième ethnie à bretelles, d’escale celle-là, les accordéons des ports. Dansées par des ouvriers, des paysans ou des marins, valses et javas étaient à peu près les mêmes dans les guinguettes, les salles des fêtes et les bars. Ce n’était pas l’accordéoniste qui, dépliant et repliant son instrument, donnait le ton, faisait la différence, même si certains savaient lancer à la foule des mots qui lui donnaient un surcroît d’allant et de bonne humeur. L’ambiance tenait surtout aux danseurs. Mouvements, couleurs, rires, cris, applaudissements, baisers produisaient, stimulé par la musique, un plaisir collectif différent d’un bal à un autre, les couples de femmes ou de jeunes filles n’étant pas les moins joyeux ou les moins survoltés.

Dans le Beaujolais, mon frère jouait d’un accordéon des vignes. J’enviais son pouvoir de faire tourner les têtes.

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