Voltaire et la vieille catin

À la fin de sa vie, Voltaire fulminait contre des éditeurs indélicats de Lausanne et de Genève qui publiaient sous son nom « mille fadaises qui ne sont pas de moi, et celles qui en sont méritent encore plus que les autres d’être jetées au feu ».

Des commerçants malhonnêtes savaient déjà tirer quelques dividendes de la renommée. Mêler du faux au vrai fait de l’abonde. Voltaire : « Je ressemble à ces vieilles catins dont on débite l’histoire amoureuse. Si elles ont eu quelques amants dans leur jeunesse on leur en donne mille », lettre à Élie Bertrand, Ferney, le 25 octobre 1773.

Il est vrai qu’on prête aux séducteurs et aux grandes amoureuses plus de conquêtes qu’ils n’en ont eu. Les hommes sont des hâbleurs : ils ne démentent rien. Ils font des mystères qui laissent entendre que, s’ils n’étaient pas aussi modestes, ils avoueraient le Bottin. Plus ils se montrent élégants dans la discrétion, plus on met de créatures dans leurs lits de jeunesse.

Au contraire, les femmes, le plus souvent, protestent contre une réputation sulfureuse. Les hommes conquièrent, les femmes cèdent. Ce fut vrai autrefois, ça l’est beaucoup moins aujourd’hui. Mais il reste de ces époques à la Fragonard un sentiment de faute, de culpabilité, qui empêche les femmes de revendiquer avec simplicité, sérénité, fierté, aplomb (rayer les mentions inutiles) leurs bonnes fortunes. Elles minimisent, elles s’offusquent, elles disent ne pas se souvenir. Mon œil !

Car l’homme voudrait bien savoir. Combien avant lui ? Des liaisons ou des toquades ? Senso ou La Ronde ? Amour, quand tu nous tiens, ou passez muscade ?

Des artistes en chambre ou de maladroits peintres sur le motif ? lui répond-elle sans manifester de trouble, avec même une souriante désinvolture.

Lui-même, à ses questions, n’a-t-il pas embelli ou banalisé son passé amoureux, adaptant son récit à, suppose-t-il, ce qu’elle veut entendre ? Leurs conversations vont des craques aux tendres carabistouilles. Avec leur mémoire sexuelle, ils jouent tous les deux au poker menteur, lui, en plus, s’il est fanfaron, aux dames. L’important, c’est qu’ils gagnent tous les deux.

Est-il vrai qu’avant de mourir certains hommes font défiler dans leur tête les visages des femmes avec lesquelles ils ont eu une jolie aventure ? Et que certaines femmes revoient les hommes avec qui elles ont partagé leur lit ? Dans ce cas, la vieille catin de Voltaire a dû s’y prendre assez longtemps avant de rendre son âme.

Dans la lettre de Voltaire, ce qui avait d’abord arrêté ma lecture, c’étaient les faux en écriture. On ne prête qu’aux riches. Le patriarche de Ferney continuait de faire recette. Mais sa comparaison avec une vieille catin est surprenante. À l’époque, le mot désignait une prostituée. Lui attribuait-on pendant sa jeunesse autant d’amants qu’on attribuait d’écrits à Voltaire ? Ces mystères qui entourent la vie intime des hommes et des femmes m’ont interpellé. J’ai là-dessus quelques souvenirs. C’est ainsi qu’à une réflexion sur les textes apocryphes s’en est substituée une autre sur la mémoire amoureuse. Les ricochets suivent parfois des trajectoires inattendues.

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