Quatrains littéraires

Antoine Blondin a ainsi résumé l’Odyssée : « Ulysse, ta femme t’attend. » Difficile de faire plus court. Demande-t-on encore aux collégiens et aux lycéens de résumer un roman ou un essai ? Exercice pas aussi simple qu’il y paraît, souvent le secondaire ou le superflu n’étant pas clairement isolable de l’essentiel. On peut se perdre dans le déroulé des faits ou l’enchaînement des idées.

On avait droit à cinq, dix ou vingt lignes, pas une de plus. Condenser Le Bourgeois gentilhomme, Tarass Boulba, Le Rouge et le Noir ou L’Art poétique, c’était comme triturer une grosse boule de pâte à modeler pour en extraire une tête de chat ou un marteau. La Fontaine ayant le génie de la rapidité et de la concision, le résumé de la fable était presque aussi long que la fable elle-même.

C’est le souvenir de ces exercices que j’aimais pratiquer qui m’a donné l’idée de bricoler des quatrains dans lesquels j’évoquerai plus que je ne les condenserai des œuvres célèbres. Non plus à la manière respectueuse du collégien, mais avec la liberté désinvolte et blagueuse du vieux lecteur. On voudra bien me pardonner un certain penchant pour la loufoquerie.

Homère en a assez, il est grognon, il boude.

Ô Troie, ton siège est long, la guerre jusqu’à quand ?

Ayant clos l’Iliade sans le cheval gagnant

Homère est licencié par les prods d’Hollywood.

Iliade, Homère, VIIIe siècle av. J.-C.

Sa vieille nounou a reconnu Ulysse

Que, ô dieux ! Pénélope a pris pour un quidam.

Voilà qui démontre que les seins qui nourrissent

Sont plus clairvoyants que la gorge qui enflamme.

Odyssée, Homère,

vers la fin du VIIIe siècle av. J.-C.

De sa bouche énorme, vorace, Gargamelle

m’a roulé un baiser, un patin, une pelle !

Comme elle désirait que nous allions plus loin,

affolé, j’ai caché mon petit saint-frusquin.

Gargantua, François Rabelais, vers 1535.

Notable d’aujourd’hui, Don Diègue l’humilié

n’utiliserait plus le langage châtié

du temps où l’on disait : vous m’avez chanté pouilles.

Moderne, il lancerait : Rodrigue, as-tu des couilles ?

Le Cid, Pierre Corneille, 1637.

Cela faisait longtemps que la gent La Fontaine,

l’agneau, la cigale, les pigeons, la fourmi,

attendaient, qui bêlant, qui roucoulant, que vienne

un drôle d’animal : le disant Luchini.

Fables, Jean de La Fontaine, 1668.

Quand le grand Bossuet, en France si célèbre,

se présenta, humble, devant son Créateur,

il osa cependant lui demander : Seigneur,

qui donc a prononcé mon oraison funèbre ?

Recueil d’Oraisons funèbres, Bossuet, 1672.

Si je cède au désir de monsieur de Nemours

du sexe très banal je suis la créature,

alors qu’amoureuse, repoussant son amour,

je serai unique dans la littérature.

La Princesse de Clèves,

Madame de La Fayette, 1678.

« C’était pendant l’horreur d’une profonde nuit.

Ma mère Jézabel devant moi s’est montrée. »

Racine, me dit-elle, Athalie ne poursuis,

ces deux vers suffisent à ta gloire assurée.

Athalie, Jean Racine, 1691.

Quand vous fîtes jouer votre osé Mahomet

vous eûtes la chance, monsieur Arouet,

de n’avoir pas fatwa lancée sur votre tête,

pas même injures sur votre site Internet.

Le Fanatisme ou Mahomet, Voltaire, 1741.

Tout le monde il est beau, tout le monde il est bon,

proclamait, souriant, l’optimiste Pangloss,

si aveugle et béat qu’il ne vit pas ce rosse

et roué Voltaire le prendre pour un con.

Candide ou l’Optimisme, Voltaire, 1758.

Je fis cinq enfants à Thérèse Levasseur

et j’en fis davantage à la littérature.

Aux premiers le refus de mon imprimatur,

préférant les seconds dont j’étais seul auteur.

Les Confessions, Jean-Jacques Rousseau, 1782.

Pour ce grand poète, monsieur de Lamartine,

qui, songeur, cultivait près de Mâcon sa vigne,

c’est une humiliation, une infortune, un couac,

de devoir son renom à l’eau triste d’un lac.

« Le Lac », poème des Méditations poétiques,

Alphonse de Lamartine, 1820.

D’Artagnan au sommet de la célébrité

non pas dans les quatre mais « Les Trois Mousquetaires ».

Certes, le chiffre est faux, admettait Dumas père,

mon nègre sait écrire et pas du tout compter.

Les Trois Mousquetaires, Alexandre Dumas, 1844.

Vos papiers, jeune homme, votre permis de vivre ?

Avez-vous sauf-conduit, carte d’identité ?

Le fugueur répondit : je n’ai pour qualité

que ce poème obscur, génial, « Le bateau ivre ».

« Le bateau ivre », Arthur Rimbaud,

écrit à dix-sept ans en 1871, publié en 1873.

Au marché de Beaujeu était François Périer,

la veille à la télé, jouant Coupeau l’ivrogne.

Les gens lui demandaient, en lui serrant la pogne,

comment, tellement soûl, l’était déjà sur pied.

Dans Gervaise, de René Clément,

d’après L’Assommoir, Émile Zola, 1877.

Poète raffiné, sibyllin, de l’onyx,

des faunes, de l’azur, de la glose, du Styx,

des cygnes et des ris, Mallarmé échoua,

si, si, je vous assure, au baccalauréat.

Poésies, Stéphane Mallarmé, 1887.

C’était, je me souviens, chez les Troisgros, à Roanne,

que, lisant, savourant Du côté de chez Swann,

j’accompagnais saumon, ris de veau et langouste

de la très fameuse madeleine de Proust.

Du côté de chez Swann, Marcel Proust, 1913.

Thérèse Desqueyroux, de son mari cardiaque

force sur les gouttes pour activer la mort.

Entendez le rire chuchoté de Mauriac

tandis que son âme dit le Confiteor.

Thérèse Desqueyroux, François Mauriac, 1927.

Que moi, dis, cher Solal, tu n’aimeras que moi ?

implore Ariane que la passion soulève.

Cruel, Albert Cohen a déjà fait son choix :

la chair est triste, hélas, au canton de Genève.

Belle du Seigneur, Albert Cohen, 1968.

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