Petit Rimbaud

Dans les portraits d’écrivains et d’artistes qu’il a connus chez Gallimard (Instantanés), Roger Grenier évoque brièvement Renée Massip, romancière aujourd’hui oubliée, quoiqu’elle ait obtenu le prix Interallié, en 1963, pour La Bête quaternaire.

Mariée à Roger Massip, directeur du service étranger du Figaro, elle passait souvent dans l’hôtel particulier du rond-point des Champs-Élysées où le quotidien concentrait ses bureaux, ses salons, son imprimerie, sa longue histoire et son influence. Chaque fois, elle poussait jusqu’au Figaro littéraire. Elle pouvait y nouer des conversations qu’elle n’avait pas aux autres étages sur l’actualité des livres.

Renée Massip m’appelait « petit Rimbaud », parfois « mon petit Rimbaud ». Le petit Rimbaud n’était pas à l’aise. Plutôt ennuyé de devoir supporter cette écrasante comparaison. Agacé, surtout devant ses camarades moqueurs, de devoir passer pour le ridicule succédané d’un génie. Je n’écrivais que des articles de presse ; je n’étais pas un jeune homme révolté ; et ma tête ne présentait rien qui pût rappeler le beau visage énigmatique du poète.

Catholique militante, de vingt-huit ans plus âgée que moi, Renée Massip ne nourrissait aucun dessein lubrique. Elle était maternelle, cordiale, joyeuse, et elle m’aimait bien, voilà tout. Mais pourquoi m’affubler de ce surnom qui m’horripilait plus qu’il ne me flattait ? Un jour, je me suis résolu à le lui demander.

« Parce que Rimbaud vous va bien, m’a-t-elle répondu. J’aime donner à mes amis des noms de gens célèbres. C’est flatteur pour eux et ça me fait plaisir.

— Rimbaud est dur à porter !

— Vous auriez préféré Bossuet, Lamartine, Anatole France ?

— Heu…, non.

— Alors, va pour Rimbaud », m’a-t-elle dit, et d’un geste m’ébouriffant.

Selon Roger Grenier, Renée Massip est morte en 2002, dans sa 95e année. Nous nous sommes embrassés pour la dernière fois en août 1985, dans le salon de maquillage d’Apostrophes. Elle était venue présenter son livre Douce lumière. J’avais cinquante ans. Elle ne m’a pas appelé « petit Rimbaud ».

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